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jeune homme digne d’elle, et, ce qui vaut mieux, de nous intéresser constamment à cet amour, à ses luttes et à ses angoisses. M. Veuillot, nous le croyons, n’a rien écrit de plus touchant et de mieux senti que cette nouvelle de Corbin et d’Aubecourt, où une passion jeune et sincère ne perd rien à être mise en contact avec des convictions chrétiennes. Sans vouloir donner à cette esquisse plus d’importance qu’elle n’en mérite, sans prétendre ériger en chefs-d’œuvre M. Argant ni Corbin et d’Aubecourt, il est permis de remarquer pourtant que c’est là, dans ce retour salutaire aux vraies sources d’attendrissement et d’émotion, que le roman peut réhabiliter non-seulement son rôle littéraire, mais encore son influence sociale. Cette influence, il faut le dire bien haut, a été corruptrice. Un des esprits les plus droits, les plus judicieux de ce temps-ci, signalait l’autre jour, du haut de la tribune, cette solidarité évidente, cette large part de la mauvaise littérature dans la mauvaise politique. Oui, l’imagination, de nos jours, a puissamment contribué à tout démolir, à tout dissoudre. Elle a proclamé son triomphe sur les vérités morales, comme la raison avait autrefois proclamé sa victoire sur les vérités métaphysiques ; elle a destitué à son profit la conscience et le devoir ; elle a surexcité ce qui égare l’homme, affaibli ce qui l’apaise, prêché à l’individu la suprématie de ses passions et l’excellence de ses instincts. Si elle veut aujourd’hui se relever du juste discrédit dont la frappent les douloureuses conséquences de ses prédications destructives, il faut qu’elle s’efforce de répandre sur les sentimens honnêtes, sur les délicatesses de conscience, sur les mystérieux sacrifices des ames d’élite, sur les inaltérables notions du bien, sur les aspirations généreuses de la vertu, le prestige qu’elle a trop prodigué aux rébellions et aux désordres ou se complaisent les cœurs dépravés. Il faut surtout qu’elle cesse de flétrir ce qui est honorable, et de glorifier ce qui mérite le mépris. C’est à ce prix que l’imagination et le roman peuvent être amnistiés par cette société dont ils ont compromis le repos, préparé les malheurs. Ils doivent faire comme ces fils humiliés et repentans, qui, à force d’honnêteté et de sagesse, effacent une tache héréditaire, et obtiennent grace pour les fautes de leurs pères.


ARMAND DE PONTMARTIN.