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Une nouvelle ère cependant allait s’ouvrir. Ce qui avait été possible jusque-là ne l’était plus. Face à face s’étaient rencontrées des personnalités trop tenaces et trop tranchées pour pouvoir accepter en commun une même manière de voir. Le jour où elles se heurtèrent eût pu être le commencement de la décadence de l’Angleterre ; il l’eût été, si les convictions incapables de se convertir l’une l’autre fussent restées incapables de vivre côte à côte sans renoncer à s’assaillir ; ce jour de décadence ne se leva point pour la Grande-Bretagne. Chose remarquable ? c’était au sein de la race la plus impérieuse, mais en même temps la mieux douée de l’instinct d’observation, que devait naître l’idée appelée, je l’espère, à écraser la tête du serpent. Bien entendu que je ne parle pas de la théorie des droits de l’homme, de l’idée que chacun est libre de penser et de faire ce qu’il veut. Ce dogme-là n’avait pas besoin d’être inventé, et ce n’est pas lui assurément qui est le père de la liberté. Toutes les déclarations, réclamations et tentatives qui n’ont pour base que le droit, la justice, ce qui doit être, ne fonderont jamais rien, tant que le désir ne sera pas la puissance d’obtenir. Ce qui enfante un progrès, c’est ce qui le rend possible ; ce qui donne aux hommes la liberté des cultes religieux ou politiques, c’est ce qui les rend aptes à ne point menacer l’indépendance d’autrui ; c’est la sagesse qui comprend que le premier des devoirs est de ne point combattre l’erreur, de ne point descendre dans l’arène pour obliger l’univers à se faire calviniste ou à vivre sous le régime de la communauté. Or, ce devoir, nul, avant le XVIIe siècle, ne l’avait seulement entrevu, pas plus Luther que Calvin. Eux aussi se proposaient encore de convertir toute l’humanité à la vérité, c’est-à-dire à un même système, alors qu’ils annonçaient comme la règle souveraine des actes et des croyances, l’un la foi qui vient de la grace, l’autre le texte de la Bible. Ainsi que nos radicaux, s’ils demandaient la liberté, c’était simplement parce qu’ils prenaient leurs conceptions pour la vérité éternelle et incontestable et parce qu’ils avaient la ferme conviction que les hommes, une fois émancipés de la dictature de Rome, ne pourraient manquer d’adopter unanimement leur doctrine. Avant de comprendre qu’il était sage et nécessaire de respecter les convictions individuelles, justes ou erronées, il fallait que les intelligences eussent d’abord bien compris qu’il était impossible, même aux principes incontestables, de plier de force tous les esprits sous le joug d’une même théorie. Dieu sait que les diverses sectes de l’Angleterre ne se résignèrent pas sans de longues hésitations à reconnaître une pareille monstruosité. Les raisons ne leur manquèrent pas pour expliquer comment telle ou telle confession de foi n’avait pu réussir à conquérir toute la nation. Évidemment cela prouvait uniquement que cette confession n’était pas la vérité ; dont le caractère est l’évidence, et chacune des autres théologies ne s’en croyait