Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/975

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelques-unes des anciennes races de sculpteurs et de forgerons mécaniciens, particulièrement celles qui résidaient dans les îles, comme les Telchines de Crète et de Rhodes, s’attirèrent une assez mauvaise réputation par leurs équivoques créations, douées d’une sorte de vie factice que l’on appelait la vie dédalique[1]. Pindare fait une allusion, d’ailleurs assez voilée, à ces égaremens des descendans de Vulcain et de Prométhée[2]. Il est remarquable que tous ceux qui ont fabriqué des machines simulant la vie aient, chez les anciens comme au moyen-âge, éveillé dans l’esprit des peuples l’idée de maléfices et de magie.

En Étrurie et dans le Latium, où le génie sacerdotal a exercé, de tous temps, une si prépondérante influence, l’art hiératique n’a pas manqué d’employer, pour agir sur l’imagination populaire, les prestiges de la sculpture à ressorts. Les anciennes idoles de l’Italie ont été de bois, comme en Grèce, coloriées, richement vêtues, et de plus fort souvent mobiles. La statue fatidique des Fortunes jumelles d’Antium, comme celle de l’oracle d’Héliopolis, se remuait d’elle-même avant de rendre ses oracles, et indiquait à ses prêtres la direction qu’ils devaient prendre[3]. À Préneste, le groupe célèbre de Jupiter et de Junon enfans, assis sur les genoux de la Fortune, leur nourrice, paraît avoir été mobile. Il semble résulter de quelques passages anciens que le petit dieu indiquait par un geste le moment favorable pour consulter les sorts[4]. C’est une bien belle fiction que le mouvement attribué à la statue de Tullius Servius, qui porta, dit-on, la main devant ses yeux pour ne pas voir, après l’assassinat de Tarquin, rentrer dans son palais sa fille parricide[5]. À Rome, on offrait aux statues des dieux des festins où elles ne jouaient pas un rôle aussi passif qu’on l’aurait pu croire. L’imagination religieuse ou l’adresse sacerdotale suppléait à leur immobilité. Tite-Live, décrivant le lectisterne qui fut célébré à Rome en 573, mentionne l’effroi, du peuple et du sénat en apprenant que les images des dieux avaient détourné la tête des mets qu’on leur avait présentés[6]. En se remémorant ces vieilles

  1. Ottfr. Müller, Handbuch der Archäologie der Kunst, § 70, t. 1, p. 49, 2e édit.
  2. Pindar., Olymp., od. VII.
  3. Macrob., Satura., lib. I, cap. XXIII.
  4. Cirer., de Divinat., Cap. XLI.
  5. Ovid., Fast., VI, v. 613, seqq.
  6. Tit.-Liv., lib. XL, cap. LIX.