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sans une épouvantable explosion. Si un marin hors d’emploi s’est pris à dire en jurant que l’Angleterre est un damné pays qui ne mérite pas qu’on se batte pour lui, M. Ledru-Rollin en conclut qu’au jour du péril l’Angleterre sera abandonnée de ses matelots. M. Ledru-Rollin eût été bien effrayé, s’il eût vu, sous son administration, nos ports silencieux, et leurs quais encombrés de marins sans engagement qui juraient à l’envi contre leur brigand de métier, contre le gouvernement provisoire et contre ce qu’ils appelaient, par un plaisant jeu de mots, la ruine publique. Néanmoins, au premier coup de canon, tous ces hommes n’eussent pas demandé mieux que de se faire tuer pour un gouvernement qu’ils n’aimaient ni n’estimaient, parce que derrière lui était la patrie. Marins et soldats sont toujours ainsi : sans cesse mécontens, sans cesse frondeurs, mais ne pouvant jamais souffrir les ennemis de leur pays. Ce sont des amans qui boudent leur maîtresse.

Dans sa reconnaissance pour M. Mayhew, le socialisme français affirme qu’aucun détail, aucun fait avancé par lui n’a pu être contesté. La vérité est au contraire que de vives réclamations ont été élevées. Le jugement porté par M. Mayhew sur les écoles déguenillées (ragged schools), et que. M. Ledru-Rollin répète, a provoqué une vive discussion. Le secrétaire de l’association qui a fondé les ragged schools a ruiné de fond en comble, par la publication des chiffres officiels, l’échafaudage de M. Mayhew, comme le Daily-News avait péremptoirement réfuté ses argumens. On peut citer encore un autre exemple. M. Mayhew a fait une peinture désolante de la vie que les marins mènent dans les ports de mer dans l’intervalle de leurs engagemens, et comme il avait tourné en dérision quelques établissemens fondés précisément pour obvier à ces inconvéniens sous le nom de Foyers du Marin (Sailor’s Home), et dans lesquels les matelots trouvent à peu de frais le logement, la nourriture et un dépôt assuré pour leurs effets et leur argent, qui leur étaient volé dans les garnis, — les anciens officiers de marine, les amiraux en retraite, qui ont fondé de leurs denier ces établissemens, ont engagé en leur faveur, et en s’appuyant sur les faits, une polémique où l’avantage n’est pas resté à l’écrivain socialiste.

Admettons cependant pour incontestés, pour incontestables, les lugubres tableaux de M. Mayhew. Peut-on légitimement conclure de Londres à toute l’Angleterre ? Toute capitale n’est-elle pas un foyer de corruption et un foyer de paupérisme ? Paris ne contient-il pas trente mille prostituées, dix mille repris de justice et quatre-vingt mille indigens, quoique M. Ledru-Rollin, avec raison, soutienne qu’il y ait moins de paupérisme. et de dégradation morale en France qu’en Angleterre ? Ce ne sont pas les capitales qu’il faut prendre pour échelle de la moralité et du bien-être des nations. Et puis, avant de déclarer