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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1015

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agricole. Beaucoup de petits fermiers sont tombés au rang de journaliers, d’autres ont abandonné la campagne pour les villes. Depuis dix ans, un grand nombre réalisent leur avoir et émigrent au Canada où aux États-Unis. C’est là une perte sérieuse pour l’Angleterre, moins encore pour les capitaux qu’ils emportent que pour l’affaiblissement qu’en éprouve la population. C’est un élément vigoureux, moral, susceptible de progrès, qui s’en va sans être remplacé, et, dont l’absence rendra chaque jour plus apparente la démarcation entre le fermier et le simple laboureur.

La classe des journaliers a ressenti elle-même le contre-coup de cette révolution : elle dépend aujourd’hui, pour sa subsistance, d’un moindre nombre de personnes, et il est par conséquent plus facile de lui faire la loi. La nécessité où étaient tous les fermiers de faire exécuter certains travaux en même temps assurait aux journaliers, à quelques époques de l’année, un surcroît de salaire qui a presque entièrement disparu. La diminution du nombre des fermes a également entraîné une diminution dans le nombre des valets de labour, et rejeté vers la condition de journaliers tous ceux qui auraient trouvé place dans la domesticité. De là une surabondance de bras qui a produit non-seulement une dépression des salaires, mais une incertitude absolue du travail, et qui a conduit à une innovation désastreuse pour les journaliers. M. Ledru-Rollin, s’emparant d’une heureuse expression de M. Léon Faucher, a dit avec raison que la culture anglaise se faisait manufacturière, c’est-à-dire que les fermiers commençaient à appliquer à l’exploitation du sol les procédés employés dans les manufactures. Aujourd’hui les grands fermiers, pour tous les travaux qui doivent se faire rapidement et qui exigent par conséquent un grand nombre de bras, le sarclage, la fenaison, le fauchage et l’enlèvement des grains, n’engagent plus un à un les journaliers du voisinage. Ils s’adressent à un entrepreneur qui a pris à sa solde pour l’été tout entier une troupe de laboureurs, hommes et femmes, et qui se charge à forfait d’exécuter le travail dans un délai déterminé. C’est le gang system, le système des enrôlemens. Ces bandes mobiles passent d’une ferme à l’autre et de comté en comté, apportant partout avec elles le chômage pour les journaliers du lieu. Ce n’est point tout encore. La conversion des terres arables en prairies et en pâtures est venue diminuer aussi la quantité du travail. La disproportion du prix entre les céréales et la viande en Angleterre est telle que les fermiers ont trouvé avantage à renoncer à la culture des céréales pour se livrer à l’élève du bétail. Ils produisent ainsi de la viande, du beurre et du fromage, qui fait le fond de l’alimentation des classes agricoles ; ils économisent sur la main-d’œuvre en réduisant leurs domestiques et en substituant les femmes aux hommes pour des travaux qui n’exigent point de force physique,