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n’est qu’il avait obtenu ; en 1657, une permission du Lieutenant civil pour montrer des marionnettes à la foire Saint-Germain. Voici ce qui le concerne : « A Francis Daitelin, joueur de marionnettes, pour le paiement de cinquante-six journées qu’il est demeuré à Saint-Germain-en-Laye pour divertir monseigneur le dauphin, à raison de 20 livres par jour, depuis le 17 juillet jusqu’au 15 août 1669, et de 15 livres par jour pendant les derniers jours dudit mois, 820 livres[1]. » Il ressort deux choses de ces documens : d’abord, que le jeune prince, alors âgé de neuf ans ; avait un goût vraiment excessif pour Polichinelle, ensuite que le répertoire des marionnettes de Daitelin et de Brioché devait être extrêmement varié, pour avoir pu amuser le dauphin et sa jeune cour pendant six mois presque consécutifs. On peut douter que Bossuet, nommé l’année suivante (1670) précepteur du royal héritier, ait permis à son auguste élève de cultiver aussi assidûment ce genre de récréation. À ce propos, je dois dire, à mon grand regret, que Bossuet traitait nos petits comédiens de bois aussi durement que les comédiens vivans ; Polichinelle lui était aussi antipathique que Molière. Il existe de cette disposition un peu atrabilaire du grand prélat une preuve irrécusable dans sa correspondance. Le 18 novembre 1686, l’année même de la révocation de l’édit de Nantes, qui allait susciter bien d’autres affaires, Bossuet déférait les marionnettes de son diocèse aux rigueurs de M. de Vernon, procureur du roi au présidial de Meaux : « Il n’y a rien, monsieur, de plus important, lui arrivait-il, que d’empêcher les assemblées et de châtier ceux qui excitent les autres » (Il s’agissait des protestans et surtout des ministres, qui commençaient à s’agiter.) Puis il ajoute : « Pendant que vous prenez tant de soin à réprimer les mal-convertis, je vous prie de veiller aussi à l’édification des catholiques, et d’empêcher les marionnettes, où les représentations honteuses, les discours impurs et l’heure même des assemblées porte au mal. Il m’est bien fâcheux, pendant que je tâche à instruire le peuple le mieux que je puis, qu’on m’amène de tels ouvriers, qui en détruisent plus en un moment que je n’en puis édifier par un long travail[2]. »

Que reprochait donc l’illustre évêque à ces pauvres petites marionnettes ? Tout au plus quelques drôleries sans conséquence, quelques retours à la verve gauloise, quelques traits dans le goût des franches repues de Villon. Un véritable modèle d’élégance fine et correcte, le comte Ant. Hamilton, dans une lettre mêlée de vers et de prose, adressée à la jeune finesse d’Angleterre, fille de Jacques II, nous donne la mesure de ces peccadilles que Bossuet traite si sévèrement. Hamilton décrit la fête patronale de Saint-Germain-en-Laye. « Ayant,

  1. Je dois la communication de ces deux pièces à M. Floquet, qui les a glanées dans les riches cartons de Colbert.
  2. Bossuet, Oeuvres complètes, tome XLII, p. 578, édition Lebel.