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trente-quatre ans, les deux gouvernemens monarchiques. Ne disons pas, pour notre honneur, ce que la France a fait pour eux. L’histoire sera juste, nous le pensons, pour tous les hommes qui ont mis sincèrement la main à cette œuvre, quel que soit leur nom et leur origine, de quelque bout de l’horizon qu’ils soient partis, quel que soit l’écueil où ils sont venus se briser. Elle sera plus juste pour chacun d’eux que tour à tour ils ne l’ont été les uns pour les autres ; elle prendra probablement à leur égard le contre-pied de l’opinion contemporaine. Impitoyable pour cet esprit frondeur et taquin qui a sapé toutes les bases de l’ordre social, elle leur demandera compte de tous les sacrifices qu’ils ont faits pour lui complaire, et leur tiendra compte des efforts qu’ils ont faits pour le dompter ; elle leur fera payer cher une popularité factice ; elle les vengera d’une impopularité encourue au service du pays. En un mot, elle sera indulgente pour les gouvernemens, sévère pour les oppositions. Ce sera une manière de rendre et de faire justice à peu près de tous les côtés, car il n’est personne qui tour à tour, depuis trente ans, n’ait joué ces deux rôles. Au sein d’une liberté presque sans limites et d’une sécurité sans nuage, l’opinion fut à son aise pour se montrer constamment ingrate. Depuis que nous nous sommes aperçus que ces deux biens ont quelque prix, l’histoire, pour être presque toujours reconnaissante, n’aura besoin que d’être équitable.

À ce compte, elle sera sévère pour M. de Chateaubriand, car, nous le répétons, l’opposition a été son élément et sa vie. Sur les quinze ans du gouvernement de son choix, il en a passé douze dans l’opposition, et dans une opposition non pas silencieuse ni modérée, mais passionnée, vitupérative, s’exhalant de mois en mois en brochures qui épuisaient le vocabulaire de l’invective. Les trois années où M. de Chateaubriand s’est tu sont celles où il était ambassadeur ou ministre, et il nous apprend lui-même, par ses Mémoires, que si les convenances d’état le condamnaient alors au silence, le démon de l’opposition n’y perdait rien. Envoyé, il écrivait à ses ministres des dépêches qui valaient des pamphlets ; ministre, son silence même lui servait d’instrument d’opposition contre ses collègues, et ce fut un de ces silences significatifs qui emporta hors des bornes de la prudence et de la politesse l’impatience de M. de Villèle. Encore si cette ligne d’opposition avait toujours été la même, il aurait droit de se poser, comme il fait, en Cassandre prophétique, dont les avertissemens négligés n’ont pu arrêter la chute d’Ilion : rôle merveilleusement commode, qui permet de travailler de tout son cœur à amener les désastres mêmes qu’on prédit, et met à l’abri, à tout événement, la conscience et la vanité ; mais il convient lui-même que cette ligne est brisée brusquement à un point déterminé : sa sortie du ministère. Il a sa première et sa seconde