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les vertus d’Edme Restif que, dans son pays, on avait surnommé l’honnête homme, lui fit dès-lors concevoir l’idée d’écrire le livre intitulé la Vie de mon père, qui parut quelques années plus tard, et qui est peut-être le seul irréprochable de ses écrits.

Cependant, pour écrire une œuvre de longue haleine, il fallait plus de force morale et plus de loisir que Restif n’en avait alors. Une veine plus favorable s’ouvrit pour lui en 1764 ; un de ses amis lui fit avoir la place de prote chez Guillau, rue du Fouarre. C’était une affaire de 18 livres par semaine, outre une copie de tous les ouvrages, ce qui valait 300 livres en plus. Cette bonne chance dura trois années. Le goût du travail revint avec une telle amélioration dans l’existence, et ce fut grace aux loisirs de cette position que Restif écrivit son premier ouvrage, la Famille vertueuse. Avec une franchise que n’ont pas tous les écrivains, il avoue qu’il n’a jamais pu rien imaginer, que ses romans n’ont jamais été, selon lui, que la mise en œuvre d’événemens qui lui étaient arrivés personnellement, ou qu’il avait entendu raconter ; c’est ce qu’il appelait la base de son récit. Lorsqu’il manquait de sujets, ou qu’il se trouvait embarrassé pour quelque épisode, il se créait à lui-même une aventure romanesque, dont les diverses péripéties, amenées par les circonstances, lui fournissaient ensuite des ressorts plus ou moins heureux. On ne peut pousser plus loin le réalisme littéraire.

Ainsi, passant un dimanche par la rue Contrescarpe, Restif remarque une dame accompagnée de ses deux filles qui se rendait au Palais-Royal. La beauté de l’une de ces personnes le frappa d’admiration ; il s’attache aux pas de cette famille, et se fait remarquer à la promenade en s’asseyant sur le même banc, et par divers moyens analogues. Il suit encore les dames à leur retour ; elles demeurent rue Traversière, dans un magasin de soieries. À partir de ce jour, Restif, vient tous les soirs admirer à travers le vitrage la belle Rose Bourgeois ; comme il faisait autrefois pour Zéfire. Le souvenir chéri de cette pauvre fille lui donne l’idée d’écrire des lettres amoureuses qu’il glissera par un trou de boulon dans la boutique. Les jours suivans, il parvient à en introduire une tous les soirs, et, après avoir fait le coup, il repasse indifféremment ; le père et la mère sont en possession de la lettre que l’on lit à haute voix comme une plaisanterie, d’autant qu’on ne sait à laquelle des sœurs s’adresse la déclaration. Cela dure douze jours ; une telle insistance paraît plus sérieuse ; on poursuit en vain le coupable. Enfin, un soir, les voisins le signalent ; on l’arrête, et les garçons de boutique se disposent à le conduire chez le commissaire. La rue était pleine de monde. Le père, craignant le scandale, fait entrer Restif dans l’arrière-boutique. « Il ne faut pas lui faire de mal ! » disaient les deux sœurs. On ferme la porte. « Vous avez écrit ces lettres ? dit le père… à laquelle de mes filles ?… - A l’aînée. — Il fallait donc le dire… Et maintenant, de