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Vers la même époque, Restif fit la connaissance de Beaumarchais, qui, appréciant son double talent d’écrivain et d’imprimeur, voulut le mettre à la tête de l’imprimerie de Kehl, où se faisait la grande édition de Voltaire ; il refusa et s’en repentit plus tard.

Une autre maison s’ouvrit encore pour l’écrivain que signalait alors une célébrité croissante, ce fut celle de Grimod de la Reyniere fils, jeune homme spirituel, à l’ame ardente, à la tête un peu faible, qui donnait alors des réunions littéraires de gens choisis tels que Chénier, les Trudaine, Mercier, Fontanes, le comte de Narbonne, le chevalier de Castellane puis Larive, Saint-Prix, etc. La bizarrerie de l’amphitryon éclatait toujours dans l’ordonnance de ses fêtes. Tout. Paris s’occupa de deux grandes fêtes philosophiques que donna La Reynière, dans lesquelles il avait établi des cérémonies selon le goût antique. L’élément moderne était représenté par une abondance extraordinaire de café. Pour être admis, il fallait s’engager à boire vingt-deux demi-tasses au déjeuner. L’après-midi était occupée par des séances d’électricité. On dînait ensuite à une vaste table ronde dans une salle éclairée par trois cent soixante-six lampions : Un héraut, vêtu d’un costume de Bayard, précédait, la lance à la main, les quatorze services, conduits par La Reynière lui-même en habit noir. Un cortége de cuisiniers et de pages accompagnait les mets servis dans d’énormes plats d’argent, et de jolies servantes en costumes romains, placées près des convives, leur présentaient de longues chevelures pour y essuyer leurs doigts.


IV. – RESTIF COMMUNISTE. – SA VIE PENDANT LA REVOLUTION.

On sait maintenant sur la vie étrange de Restif tout ce qu’il faut pour le classer assurément parmi ces écrivains que les Anglais appellent excentriques. Aux détails caractéristiques indiqués çà et là dans notre récit, il est bon d’ajouter quelques traits particuliers. Restif était d’une petite taille, mais robuste et quelque peu replet. Dans ses dernières années, on parlait de lui comme d’une sorte de bourru, vêtu négligemment et d’un abord difficile. Le chevalier de Cubières sortait un jour de la Comédie-Française ; en chemin, il s’arrêta chez la veuve Duchesne pour acheter la pièce à la mode. Un homme, se tenait debout au milieu de la boutique avec un grand chapeau rabattu qui lui couvrait la moitié de la figure. Un manteau de très gros drap noirâtre lui descendait jusqu’à mi-jambe ; il était sanglé au milieu du corps avec quelque prétention sans doute à diminuer son embonpoint. Le chevalier l’examinait curieusement. Cet homme tira de sa poche une petite bougie, l’alluma au comptoir, la mit dans une lanterne, et sortit sans regarder ni saluer personne Il demeurait alors dans la