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les hernutes, conçoit l’idée d’une association analogue des habitans de la rue ; — on s’engagera à ne se servir d’aucune monnaie et à tout acheter ou vendre par échange, de sorte que le boulanger prenne sa viande chez le boucher, s’habille chez le tailleur, et se chaussé chez le cordonnier ; tous les associés doivent agir de même. Chacun peut acquérir ou dépenser plus ou moins, mais les successions retournent à la masse, et les enfans naissent avec une part égale dans les biens de la société ; ils sont élevés à frais communs, dans la profession de leur père, mais avec la faculté d’en choisir une autre en cas d’aptitude différente ; ils recevront du reste une éducation semblable. Les associés se regarderont comme égaux, quoique quelques-uns puissent être de professions libérales, parce que l’éducation les mettra au même niveau. Les mariages auront lieu de préférence entre des personnes de l’association, à moins de cas extraordinaires. Les procès seront soutenus pour le compte de tous ; les acquisitions profiteront à la masse, et l’argent qui reviendra à la société par suite de ventes faites en dehors d’elle sera consacré à acheter les matières premières en raison de ce qui sera nécessaire pour chaque état. — Tel est ce plan, que l’auteur n’avait pas du reste l’idée d’appliquer à la société entière, car il donne à choisir entre différentes formes d’association, laissant à l’expérience les conditions de succès de la plus utile, qui absorberait naturellement les autres. Quant à la vieille société, elle ne serait point dépouillée, seulement elle subirait forcément les chances d’une lutte qu’il lui serait impossible de soutenir long-temps.

Cependant l’écrivain vieillissait, toujours morose de plus en plus accablé par les pertes d’argent, par les chagrins de son intérieur. Sa seule communication avec le monde était d’aller le soir au café Manoury, où il soutenait parfois à voix haute des discussions politiques et philosophiques. Quelques vieux habitués de ce café, situé sur le quai de I’École, ont encore présens à la mémoire sa vieille houppelande bleue et le manteau crotté dont il s’enveloppait en toute saison. Le plus souvent il s’asseyait dans un coin, et jouait aux échecs jusqu’à onze heures du soir. À ce moment, que la partie fût achevée ou non, il se levait silencieusement et sortait. Où allait-il ? Les Nuits de Paris nous l’apprennent : il allait errer, quelque temps qu’il fit, le long des quais, surtout autour de la Cité et de l’Ile Saint-Louis ; il s’enfonçait dans les rues fangeuses des quartiers populeux, et ne rentrait qu’après avoir fait une bonne récolte d’observations sur les désordres et les scènes sanglantes doit il avait été le témoin. Souvent il intervenait dans ces drames obscurs, et devenait le don Quichotte de l’innocence persécutée ou de la faiblesse vaincue. Quelquefois il agissait par la persuasion ; parfois aussi son autorité était due au soupçon qu’on avait qu’il était chargé d’une mission de police.