Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1098

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

national. Le président répondit dédaigneusement « Restif de la Bretone a du génie, mais, il n’a point de goût. — Eh ! messieurs, répliqua Mercier, quel est celui de nous qui a du génie ! »

On rencontre dans les derniers livres de Restif plusieurs récits des événemens de la révolution. Il en rapporte quelques scènes dialoguées dans le cinquième volume du Drame de la Vie. Il est à regretter que ce procédé n’ait pas été suivi plus complètement. Rien n’est saisissant comme cette réalité prise sur le fait. Voici, par exemple, une scène qui se passe le 12 juillet devant le café Manoury :

« UN HOMME, DES FEMMES. – Lambesc ! Lambesc !… on tue aux Tuileries !
UNE MARCHANDE DE BILLETS DE LOTERIE. — Où courez-vous donc ?
UN FUYARD. — Nous remmenons nos femmes.
LA MARCHANDE. Laissez-les s’enfuir seules, et faites volte-face.
SON FUTUR. — Allons ! allons, rentrez. »

Il n’y a rien de plus que ces cinq lignes ; on sent la vérité brutale : les dragons de Lambesc qui chargent au loin, les portes qui se ferment, une de ces scènes d’émeute si communes à Paris.

Plus loin Restif met en scène Collot-d’Herbois, et le félicite de son Paysan magistrat ; mais Collot n’est préoccupé que de politique. « Je me suis fait jacobin, dit-il ; pourquoi ne l’êtes-vous pas ? — À cause de trois infirmités très gênantes… — C’est une raison. Je vais me livrer tout entier à la chose publique, et je ne perdrai ni mon temps ni mes peines. D’abord jeux m’attacher à Robespierre ; c’est un grand homme. — Oui, invariabe. — Collot continue : « J’ai l’usage de la parole, j’ai le geste, la grace dans la représentation… J’ai une motion à faire trembler les rois. Je viens de faire l’Almanach du père Gérard, — excellent titre. Je tâcherai d’avoir le prix pour l’instruction des campagnes ; mon nom se répandra dans les départemens ; quelqu’un d’eux me nommera… »

La silhouette de Collot-d’Herbois n’est elle pas là tout entière ? Mais l’auteur ne s’en est pas tenu toujours à ces portraits rapides, et, à côté de ces esquisses fugitives, on trouve des pages qui s’élèvent presque à l’intérêt de l’histoire, comme celles qu’il consacre à Mirabeau, et que cette grande figure semble avoir illuminées de son immense reflet.


V. – UNE VISITE À MIRABEAU.

Le dialogue de Restif et de Mirabeau est un des plus curieux chapitres des Mémoires de Nicolas. L’auteur, qui avait la rage des pseudonymes, se déguise ici sous le nom de Pierre qu’il a employé déjà dans d’autres ouvrages. « En approchant de Mirabeau, dit-il, je vis un homme qui était dans un resserrement de cœur et qui avait besoin