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dévergondés de la rue Jean-Saint-Denis, il arriva quelque désordre que je sus arrêter par mes émissaires. Quelques-unes de ces malheureuses menacèrent la reine ; je l’appris, et je les fis fusiller adroitement. L’effervescence était telle, que tout Paris fut ébranlé, tout, honnêtes, déshonnêtes, malhonnêtes, catins, femmes mariées, jeunes filles, gens de courage et lâches ; on vit, dans la bagarre jusqu’au petit Rochelois Nougaret, qui talonnait le chasseur Josse, récemment libraire… J’en ai ri de bon cœur, je me croyais au spectacle de la Grand’-Plinte, et qu’on y donnait la tragédie du Peccata ; passe-moi cette idée bouffonne, la dernière peut-être que j’aurai, elle me fut suggérée en voyant dans la troupe une foule de bas auteurs, Camille Desmoulins, à côté de Durosoi, Royou en garçon tailleur, Geoffroi en cordonnier, l’abbé Poncelin en ramoneur, Mallet-du-Pan en écrivain des Charnier, Dussieux et Sautereau en charcutiers, l’abbé Noël et Rivarol en perruquiers…


Ici l’énumération devient satirique et attaque la plupart des auteurs du temps ; on cite même une certaine auteuse à cheval sur un canon, qui criait : « Ma rose au premier héros ! — En avez-vous un million ? » lui répondit un enthousiaste. Mirabeau se compare lui-même au frère Jean des Enthomures, et, après le récit bouffon de cette expédition terrible, se plaint de ses ennemis, qui ont gagné par de l’or une petite juive, sa maîtresse, appelée Esther Nomit… « Mais je le sais, ajoute-t-il, et je trompe Dalila et les Philistins. »

Puis la conversation se porte sur l’abolition de la noblesse, sur la nouvelle constitution du clergé ; avec des interruptions et des à parte bizarres, qui rappellent le dialogue du Neveu de Rameau. Mirabeau se livre à de longues tirades, qu’il interrompt de temps en temps pour reprendre haleine, en disant à son interlocuteur : « Allons, parle, continue… car, je le sais, tu aimes à pérorer… » Puis, à la première objection, il lui crie : « O buse !… pauvre homme ! Je t’ai vu plus de verve autrefois. » Puis il entame une dissertation sur les biens du clergé, et se plaint du peu de talent que Maury a déployé à la tribune dans cette question. « Voilà ce que j’aurais dit à sa place, » s’écrie-t-il, et, se promenant dans sa chambre comme un lion dans une cage, il prononce tout le discours qu’aurait dû tenir l’abbé Maury. De temps en temps il s’interrompt, s’étonnant de ne pas entendre les applaudissemens de l’assemblée, tant il est à son rôle. Il s’applaudit des mains, il pleure aux argumens qu’il arrache à l’éloquence supposée de son adversaire ; puis, quand l’émotion qu’il s’est produite à lui-même s’est dissipée, il essuie la sueur de son front, relève sa noire chevelure, et dit : « Et, si Maury avait eu le nerf de parler ainsi, voilà ce que j’aurais répondu… » Nouveau discours qui dure une heure et amène une péroraison qu’il commence par : « Je me résume, messieurs… » Enfin il éclate de rire en s’apercevant qu’il vient d’épuiser ses poumons pour un seul auditeur.