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Nous avons cité à dessein ces dernières paroles, parce qu’elles contiennent un avertissement salutaire pour notre commerce : c’est à lui de ne pas compromettre par de mauvais approvisionnemens les relations que nous ouvre en Afrique le courage de nos soldats.

Quelques importantes qu’elles soient en Afrique, les « routes ne sont pas cependant l’œuvre la plus curieuse de l’esprit civilisateur de notre armée. Il y a des détails de gouvernement plus intéressans et plus délicats ; citons-en un tiré du rapport de M. le ministre de la guerre : « La province d’Alger a eu beaucoup à souffrir cette année de la sécheresse et des sauterelles ; dans plusieurs subdivisions, les récoltes ont été entièrement perdues, et la population s’est trouvée sous le coup des plus dures privations. L’autorité militaire a pris toutes les dispositions nécessaires pour venir au secours des misères les plus grandes des dégrèvemens d’impôts ont été accordés aux tribus les plus pauvres ; pour celles dont les pertes n’ont pas été aussi générales, un système d’assistance mutuelle a été organisé par les soins des bureaux arabes, et les cultivateurs les moins rudement éprouvés sont venus en aide aux plus malheureux ; sur d’autres points, le gouvernement lui-même a fait des prêts de graines remboursables à la récolte. J’ai cru utile, monsieur le président, dit M. le ministre de la guerre, de vous faire connaître ce détail d’administration, parce qu’il répond aux indignes calomnies si souvent produites contre les formes prétendues brutales et inhumaines de l’autorité militaire vis-à-vis des indigènes. »

Le rapport de M. le ministre de la guerre fait connaître comment l’armée gouverne et administre l’Algérie, et comment nous ne nous trompons pas quand nous appelons l’Afrique notre meilleure école de gouvernement. La brochure du général Yusuf nous montre de quelle manière s’y fait la guerre, quelles en sont les conditions et quelles qualités doit développer un pareil genre de guerre. Assurément nous ne sommes pas compétens pour juger une brochure qui traite du commandement d’une colonne, de la marche d’une colonne, de l’installation du bivouac, de la marche sans sacs pour l’infanterie avec la cavalerie allégée, des reconnaissances, des razzias, de l’attaque d’un camp ennemi pendant la nuit, du train des équipages, des goums, etc. ; mais à côté de ces chapitres spéciaux, qui sont écrits avec une rare clarté, et qu’il n’est pas inutile de lire quand on veut savoir ce qu’est la guerre en Afrique, il y a une idée générale qui sort de tout l’ouvrage du général Yusuf et qui nous frappe particulièrement : c’est que la guerre d’Afrique, par la manière même dont elle est faite, est une guerre qui ne ressemble en rien aux grandes guerres de l’ère napoléonienne, et, qui n’en vaut que mieux peut-être pour développer les qualités naturelles du soldat et de l’officier. Dans la grande guerre européenne d’il y a quarante ans, presque tout était tactique, et presque tout dépendait de la science et du génie du général en chef. Le commandement suprême était tout ; les soldats et les officiers n’étaient presque rien que de purs instrumens. Les hommes se mouvaient par grandes masses sur un vaste échiquier, et le général en chef avait seul le secret de la bataille. En Afrique, le général a toujours la grande part, la première part, personne ne peut le nier ; mais les soldats et les officiers y sont pour leur compte et paient, de leur personne. Ce ne sont point les pions d’un terrible et merveilleux damier ; ce sont des hommes qui attaquent et qui se défendent avec toutes les ressources de la