Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est d’avoir, le premier à cette époque en Espagne, témoigne d’une pensée originale dans le domaine de la philosophie politique, en abordant le problème sur lequel la vie sociale elle-même repose, le problème de la souveraineté. Quelle est, au fond, la doctrine professée par M. Donoso Cortès, qui se trouve formulée et revêtue d’un merveilleux éclat, non-seulement dans les Leçons de droit politique, mais encore dans l’étude sur la Loi électorale et dans l’essai sur les Principes constitutionnels ? Elle n’est point nouvelle parmi nous, puisque c’est la doctrine qui place dans l’intelligence la source et le signe de la souveraineté. Ce qui appartient en propre à l’auteur, c’est une vigueur d’esprit qui se manifeste parfois par les plus hardies constructions théoriques, c’est une fécondité d’inspiration qui rend la métaphysique elle-même lumineuse et vivante, c’est une éloquence qui s’échauffe à tous les grands spectacles de la civilisation. M. Donoso Cortès étudie en penseur de notre temps la nature morale de l’homme et les lois premières des sociétés ; il recherche les applications historiques qu’elles ont revues, les interprétations qu’en donnent les philosophes. Il s’est produit dans le monde deux grandes interprétations de l’idée de souveraineté qui ont dominé alternativement, qui ont leur philosophie et leur histoire, — l’une faisant dériver la puissance souveraine absolument et exclusivement d’une origine divine, l’autre la plaçant dans le peuple, dans la multitude, dans le nombre. Ces deux interprétations, l’auteur les proclame incompatibles avec les conditions essentielles des sociétés viriles et saines. Le dogme des pouvoirs de droit divin, il le rejette dans le passé comme la loi des sociétés dans l’enfance, comme une pensée qui a servi à son jour la civilisation ; le radicalisme révolutionnaire de la souveraineté du peuple, il le signale comme matérialiste et athée ; il le montre s’agitant dans un réseau d’impossibilités, contraint, à chaque instant, d’abdiquer ou d’aboutir aux plus monstrueuses folies, — et, entre ces deux systèmes, il élève le droit de l’intelligence qu’il fait jaillir du sein de l’histoire et de l’observation philosophique de la nature de l’homme. Cette idée de la mission suprême de l’intelligence séduit son imagination ; il la décrit en termes magnifiques, la suit dans son action éclatante ou inaperçue à travers les siècles, dans sa marche incessante vers un complet affranchissement, explique par elle l’émancipation successive des hommes et des classes, la fortune des peuples. Dans son application contemporaine, immédiate, dans sa réalisation politique moderne, M. Donoso Cortès appelle ce gouvernement de l’intelligence sécularisée et affranchie le gouvernement des aristocraties légitimes. C’est ainsi qu’il naturalisait en Espagne, à cette époque, avec une sorte de magnificence, une doctrine qui a été une des pensées du XIXe siècle, et qui vient aujourd’hui se heurter contre des ruines.