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Quelle est la mesure dans laquelle se combinent l’autorité et la liberté dans le monde ? quelle est leur source mystérieuse et la loi supérieure de leur développement proclamée par l’histoire, par la philosophie ? quel est le degré jusqu’où la raison humaine s’exerce dans sa puissance, maîtresse de sa propre destinée, et quelle est la part réservée à l’action providentielle ? surtout, quel est le sens de cette action de la Providence et à quels signes se fait-elle reconnaître ? Ce travail, visible dans les moindres écrits de M. Donoso Cortès, le montre inclinant graduellement vers cette interprétation religieuse qu’il embrasse et féconde aujourd’hui. Déjà, en 1839, un fragment sur les questions générales qui se remuent en Europe énonce une opinion sévère sur la philosophie « qui se sépare de Dieu, nie Dieu et se fait Dieu, » selon l’expression de l’auteur. Les Lettres de Paris, en 1842, laissent apparaître dans quelques pages sur la guerre comme un disciple de De Maistre. Un morceau sur la civilisation espagnole, écrit en 1843, au sujet d’un livre de M. Moron, est plus explicite encore. C’est ainsi, par une sorte de succession lente, que le catholicisme pur est devenu pour le penseur espagnol le foyer de la certitude et de l’inspiration, la lumière à laquelle tout s’explique, tout se coordonne. Et sait-on ce qui ajoute à l’intérêt des développemens que le brillant publiciste tire de la doctrine catholique, ce qui leur donne un caractère particulier de réalité saisissante ? C’est ce travail même dont je parle ; c’est que c’est là un homme qui a vécu dans notre atmosphère, qui a trempé dans nos désirs, si je puis ainsi m’exprimer, qui a grandi, lui aussi, au sein des épreuves instructives d’une révolution, et qu’une inclination naturelle avait déjà porté plus d’une fois à interroger le mystère de la destinée moderne, à sonder ces hautes questions d’avenir européen qui s’offrent aujourd’hui sous un aspect redoutable. Par une coïncidence singulière, cette transformation intérieure s’accomplissait dans la pensée de M. Donoso Cortès au moment même où s’allumaient les premiers feux de cet incendie qui allait se propager sur tous les points, c’est-à-dire à l’heure la plus favorable pour le retentissement d’une parole virile. Ce mouvement nouveau d’idées explique les œuvres récentes de M. Donoso Cortès : comme ensemble de vues philosophiques, il a produit l’essai sur Pie IX ; comme inspiration littéraire, il a produit le discours sur la Poésie biblique prononcé i l’académie espagnole, où l’auteur peint avec une magnificence qui n’a point été égalée les splendeurs du monde primitif et du monde chrétien ; comme application directe à la politique contemporaine, il a donné naissance aux discours du 4 janvier 1849 et du 30 janvier 1830, qui sont, pour me servir de ce terme, des revues éloquentes des révolutions de l’Europe, des forces rivales qui se disputent l’avenir de la civilisation et des symptômes de tout genre qui se manifestent dans nos catastrophes.