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il sait en toute chose démêler le possible et s’en contenter ; le Français est plus entreprenant, moins calculateur ; le possible ne lui suffit pas, il aime l’inconnu, le nouveau, l’impossible. Je ne sais qui a défini l’Anglais un animal politique : cette définition est parfaitement juste, mais elle est complètement inapplicable au Français, qui ne sait pas se restreindre, s’assigner un but déterminé, et qui va par la pensée au-delà des faits, qui poursuit sans cesse un vague idéal.

Ces traits distinctifs du génie français, qui sont en même temps nos plus grands défauts et nos qualités principales, l’imagination, l’entraînement, n’ont pas peu contribué à nous rendre impropres, du moins jusqu’ici, au régime essentiellement raisonnable de la monarchie représentative anglaise. Ces formes savantes et compliquées, ces fictions légales, ces limites volontaires que s’impose chaque action individuelle ou collective, et qui permettent de concilier la liberté la plus absolue avec l’ordre le plus parfait, ne s’accommodent pas de notre caractère impatient et fantasque. La France est une nation littéraire, une nation militaire, ce n’est pas une nation politique. Toute démocratie est déjà par elle-même irréfléchie, envieuse et changeante. Qu’est-ce donc quand ces conséquences du génie démocratique se développent chez un peuple ardent, téméraire, prompt à saisir le côté faible de toute chose, frondeur par nature et par habitude, fougueux et irrésistible dans ses premiers mouvemens, léger et passionné tout ensemble, sceptique, vain, ambitieux, indiscipliné, et qui savait déjà très bien crier par la bouche du plus national de ses poètes, quand il obéissait au monarque le plus glorieux et le plus respecté de l’Europe :

Notre ennemi, c’est notre maître ;
Je vous le dis en bon français ?

Quand les communes anglaises avaient bien crié contre Guillaume III et son gouvernement, il suffisait que ce prince fît mine d’abdiquer pour que toute opposition cessât. Plus tard, après l’avènement de la maison de Hanovre, l’Angleterre, ainsi que le remarque M. Guizot, ne se sentait aucune affection pour des princes allemands qui ne parlaient pas sa langue, qui se déplaisaient au milieu d’elle et saisissaient avec empressement tous les prétextes de la quitter pour aller vivre dans leur ancien petit état. Les querelles domestiques de la famille royale, les mœurs grossièrement licencieuses de la cour, offusquaient le pays. F, cependant, dès que quelque péril semblait menacer le trône, toutes les classes de la société oubliaient leurs mécontentemens, leurs déplaisirs, le peu de sympathie que leur inspirait le gouvernement, pour ne plus se préoccuper que de leurs propres intérêts. L’immense majorité sentait parfaitement que l’établissement de 1688 formait un tout dont les parties étaient étroitement liées entre elles, et que la pierre fondamentale