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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/251

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me fut offerte. Il s’agissait de s’entendre avec le fils d’un des cabaniers du Petit-Poitou[1] pour l’exploitation d’un étang nouvellement desséché où l’on désirait l’établir. J’écrivis à Guillaume Blaisot pour lui donner rendez-vous à Marans, et, comme je désirais voir les bords de l’Autise et de la Sèvre niortaise, je me rendis directement à Maillezais, d’où je comptais descendre par eau vers le lieu désigné à Guillaume dans ma lettre.

J’étais debout sur le seuil de l’auberge, attendant que l’on eût pli nie procurer un bateau, lorsque je vis arriver un voyageur, qu’à son petit chapeau de toile et à sa jambe de bois je reconnus sur-le-champ pour Nivôse Bérard, surnommé Fait-Tout. Bérard était un de ces industriels équivoques, vivant de métiers sans noms et généralement connus dans nos campagnes sous le nom de coureurs de bois. Notre première rencontre avait eu lieu environ huit jours auparavant dans des circonstances qui méritent d’être racontées. Je venais de visiter le bassin de ce grand lac qui couvrit autrefois une partie des cantons des Essarts, de Châtonnay, de Sainte-Hermine et de la Châtaigneraye. En côtoyant la rive gauche de la Mère, petite rivière qui traverse la forêt de Vouvant, j’avais atteint cette large brèche par où les eaux semblent s’être subitement déchargées dans l’Océan, et à laquelle la tradition a conservé le nom de Déluge. Je m’étais arrêté là, saisi par la sauvage grandeur du paysage. De tous côtés se dressaient des rocs bouleversés, les uns revêtus d’une mousse veloutée, les autres presque cachés sous un manteau de ronces et de chèvrefeuilles. Ici l’eau roulait, en bouillonnant, à travers les schistes verdâtres que brillantait le mica ; là, retenue, comme dans un cercle magique par les touffes d’aulnes, elle formait des réservoirs sombres que l’on eût crus destinés à quelque divinité mystérieuse. Tel était le silence de ce désert qu’on y entendait la chute d’une feuille desséchée et le froissement de la branche sur laquelle se posait l’oiseau. Par instans seulement, une brise s’engageait dans l’étroite coulée, et tout résonnait comme un orgue. Alors commençaient ces dialogues du feuillage et du vent, du glaïeul et des eaux, qui remplissent la solitude de chœurs ineffables.

Je m’étais long-temps oublié au milieu des rochers et des bois, écoutant les mélodies de la création entrecoupées par de sublimes silences et, je venais de m’arracher avec effort à cette fascination, lorsqu’en tournant un de ces fourrés appelés gîtes, je me trouvai tout à coup à l’entrée d’un étroit placis. Il était dessiné par des roches tachetées de lichens jaunâtres ; quelques ajoncs sans fleurs et des houx rabougris hersaient çà et là le sol de leur verdure métallique. Au milieu de cette

  1. Dans les desséchemens, les fermiers sont appelés cabaniers. Le Marais du Petit-Poitou est situé près de Chaillé. — Les habitans du Marais-mouillé s’appellent huttiers.