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une hôtellerie impossible à quitter définitivement avant d’avoir réglé tous ses comptes.

À en juger par la manière dont il avait reçu les confidences de la maraîchaine, Fait-tout partageait les croyances communes ; mais, lorsque je voulus l’interroger, il se tint sur la réserve. Il savait les gens de la ville peu crédules et craignait évidemment mes railleries ; tout ce que je tentai pour lui donner confiance fut inutile ; mon philosophe de grands chemins semblait éprouver quelque honte à montrer son scepticisme en défaut. Ne pouvant rien obtenir de ce côté, je voulus au moins le questionner sur le pays et sur les gens que j’allais voir. Au nom du cabanier Jérôme Blaisot, dont le fils m’avait été recommandé, il releva la tête.

— Jérôme Blaisot, répéta-t-il ; eh bien ! ce n’est pas d’hier que je le connais, celui-là. Quand je suis arrivé dans le pays, il était sixtain[1] devers les marais de Vix.

Je demandai quelle était sa réputation.

— Dame ! c’est pas un grand guerrier, répondit Fait-Tout en riant ; il a vu dans sa jeunesse les commissaires et les municipaux envoyer tant de monde à la guillotine, qu’à cette heure il tremble devant le garde-champêtre. Aussi a-t-on coutume de dire que si le père Jérôme rencontrait le baudet de saint Juire ; il le saluerait par respect pour l’autorité[2].

— Et comment tient-il sa cabane ?

— En meilleur état que toutes celles du Petit-Poitou, grace à la Loubette, qui est la plus fière fille du Marais.

— Mais n’a-t-il pas également un fils ?

— Faites excuse ; le grand Guillaume.

— C’est lui surtout que je veux voir.

Bérard ouvrit la bouche pour me répondre, puis parut se raviser et s’arrêta. Je lui demandai si le grand Guillaume n’était pas un vaillant travailleur.

— Faudrait donc qu’il ne fût pas frère de la Loubette, me répondit-il.

— Et vous pensez que je le trouverai à la cabane ?

— Personne ne peut dire qui va ou qui vient.

Il y avait dans le ton de Fait-Tout une subite réserve que je remarquai, mais à laquelle je ne m’arrêtai pas. L’originalité du paysage que nous traversions me donnait d’ailleurs de continuelles distractions.

  1. Le sixtain est un fermier qui cultive au profit du maître et perçoit, pour salaire, le sixième des récoltes.
  2. La procréation des mulets est une des industries importantes de la Vendée ; on entretient, à cet effet, des baudets pour étalons, et celui du haras de Saint-Juire est renommé dans le pays.