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d’embarras avec lequel on me parlait du jeune cabanier. Après sa réponse, l’aubergiste avait tourné sur ses talons comme pour éviter une nouvelle question, et Fait-Tout lui-même s’était éclipsé. Je remis au lendemain l’éclaircissement de ce mystère.


II. – LA NIOLE BLANCHE.

Henri IV nous a laissé une brève description de Marans et de ses environs dans une lettre à la belle Corisandre : « J’arrivai au soir à Marans, lui écrit-il ; c’est une île renfermée de marais bocageux, où, de cent en cent pas, il y a des canaux pour aller charger le bois par bateau ; l’eau claire, peu courante, les canaux de toutes largeurs. Parmi ces déserts, mille jardins où l’on ne va que par bateaux. L’île a deux lieues de tour, ainsi environnée. Il passe une rivière par le pied du château, au milieu du bourg, qui est aussi logeable que Pau ; peu de maison qui n’entre de sa porte dans son petit bateau. »

Marans est aujourd’hui le port d’embarquement de tous les produits de la Vendée. Aussi fus-je réveillé, dès le matin, par le bruit et le mouvement du marché. La ville se remplissait de huttiers apportant leur pêche et leur chasse, de cabaniers qui venaient vendre leur laine ou leur chanvre. Je voyais passer de lourds chariots attelés de douze bœufs conduisant aux bateaux les blés de la plaine et les bois de frêne connus sous le nom de cosses de Marans. J’attendais toujours le grand Guillaume ; mais le temps s’écoulait sans que personne parût. Je me décidai enfin à prendre des informations dans les cabarets des faubourgs où avaient coutume de s’arrêter les gens du Petit-Poitou ; mais toutes mes recherches furent inutiles. Dans la dernière auberge, je trouvai Fait-Tout entouré de mariniers et dans l’exercice d’une de ses mille industries. Il traçait sur l’avant-bras d’un jeune paysan un de ces tatouages indélébiles gravés avec une pointe d’acier et colorés par la poudre à canon. L’ancien marin m’appela pour me faire admirer son œuvre, alors presque achevée.

Celle-ci appartenait évidemment à l’école chinoise, non par la finesse du trait, mais par le laisser-aller de la forme et la naïveté de la perspective. On voyait d’abord une sorte de parallélogramme au pointillé, représentant un autel, au-dessus duquel voletait quelque chose qu’on me dit être deux colombes. À droite se dessinait une croix nimbée ; à gauche, une fleur de lis ; au-dessous, une tête de mort avec les os en sautoir. Nivôse Bérard me fit admirer chacune de ces illustrations.

— Monsieur voit que tout y est, dit-il ; le Fier-Gas n’aurait rien de mieux, fût- il vrai roi de France.

— On peut exiger du bon quand on paie un écu blanc ! fit observer celui qu’on appelait le Fier-Gas avec une certaine emphase.