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— Pourquoi cela ?

— Parce que celui dont le nom était sur l’adresse ne se trouvait pas au Petit-Poitou.

— Que dites-vous ! Guillaume ?…

— C’est aussi vrai qu’il n’y a que trois personnes dans la Trinité ! interrompit Jérôme.

— Mais vous savez au moins où je pourrai le trouver ?

— Nous ne savons rien ! reprit le cabanier avec précipitation ; ceux qui ont dit le contraire l’ont fait par mauvaiseté. Le grand Guillaume est parti de sa seule volonté ; nous n’y sommes pour rien ; j’en jurerai par la Vierge et par tous les grands saints !

— Allons, ne reniez pas votre fils parce qu’il n’a pu rester près de nous, interrompit la jeune fille avec une fermeté calme ; vous voyez bien que monsieur ne le demandait que pour son bien.

Je ne pouvais encore comprendre ni la cause du départ de Guillaume, ni l’effroi de son père. Je regardai Loubette d’un air interrogateur, mais elle prévint de nouvelles questions en m’offrant de me reposer et de me rafraîchir. J’acceptai surtout par curiosité, car tout ce mystère commençait à éveiller mon intérêt. Le petit berger entra dans ce moment pour demander s’il fallait dételer le char-à-bancs ; j’étais forcé d’attendre le retour de mon conducteur, et la jeune fille ordonna de faire entrer le cheval sous la grange.

Jérôme était allé tirer un pot de cidre qu’il plaça devant moi. La réflexion l’avait un peu enhardi ; il revint de lui-même au motif de ma visite, que je lui expliquai en quelques mots. Au nom de maître Le Normand, le notaire qui avait recommandé Guillaume, — la jeune fille s’approcha et voulut avoir des nouvelles de l’homme qui s’intéressait au fils de Blaisot. Mes explications achevèrent de dissiper toute défiance ; le cabanier mit la nappe, et je vis que l’on s’apprêtait à servir le souper. J’avais une trop longue expérience des habitudes de nos campagnes pour opposer aucune objection à ces dispositions hospitalières ; je savais qu’en les acceptant, je ne faisais qu’user de mon droit d’étranger, et qu’une sérieuse inquiétude pouvait seule justifier l’espèce d’embarras que j’avais cru remarquer dans l’accueil de mes hôtes. J’espérais d’ailleurs que, s’il fallait définitivement renoncer au fils du cabanier, celui-ci pourrait me désigner quelque autre maraîchain capable de diriger l’exploitation de l’étang desséché.

Pendant ces pourparlers et ces préparatifs, la nuit était venue ; mais je m’en étais à peine aperçu : mes yeux, progressivement accoutumés à l’obscurité, continuaient à distinguer les objets dans la pénombre de la cabane. Le feu de pavas, fréquemment ravivé par Loubette, n’y jetait pourtant que des clartés intermittentes qui dansaient le long des