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— J’ai voulu vous faire une petite visite en passant, reprit le gendarme, qui appuyait ironiquement : sur les mots ; mais où est donc la Loubette ?

— Est-ce qu’elle n’est pas là ? dit le cabanier, qui regarda autour de lui.

— Vous le savez bien, vieux finot, reprit le brigadier, et vous allez m’avouer tout de suite où elle est.

— Je vais… je vais la chercher, dit Jérôme, qui fit un mouvement vers la porte.

Mais le gendarme lui barra le passage.

— Minute ! s’écria-t-il, on ne sort pas, mon brave.

— On ne sort pas ! répéta le cabanier de plus en plus effrayé ; cependant pour avertir Loubette…

— Justement nous ne. voulons pas qu’on puisse l’avertir, répliqua le brigadier en clignant l’œil, et c’est pourquoi j’ai laissé un homme à l’extérieur, Voyons, père Blaisot., il n’y a plus à faire le malin avec nous ; on sait que votre fils est ici.

— Guillaume ! s’écria le cabanier avec un saisissement de surprise trop naturel pour être joué.

— Et nous venons l’arrêter comme réfractaire, ajouta le gendarme. Croyez-moi, l’ami, engagez-le à se rendre.

Jérôme jura par tous les saints du haut et du bas Poitou qu’il ignorait le retour de son fils, et qu’il n’était pour rien dans sa résistance à l’arrêt du sort qui l’appelait sous les drapeaux ; mais le brigadier connaissait évidemment son homme, et, persuadé que Jérôme cachait le réfractaire, il voulut l’effrayer.

— Pas de farces, dit-il en hérissant sa moustache ; on sait que vous êtes tous des blancs dans le pays ; aucun de vous n’ouvrirait la bouche pour mettre l’autorité sur la piste d’un réfractaire. Vous n’avez pas même l’air de vous douter de la chose ; mais on connaît les couleurs, mon cher, et les ennemis de l’ordre n’ont qu’à se bien tenir.

Blaisot voulut protester de sa soumission au gouvernement de juillet.

— Faites donc pas le câlin, reprit l’agent de la force publique d’un ton presque menaçant ; on vous connaît, peut-être ! Est-ce que vous-même vous n’avez pas refusé de rejoindre dans le temps ? Si on était méchant garçon, on pourrait le dire assez haut pour être entendu de Fontenay, et alors gare l’amende, la prison et le reste !

— Le reste ! murmura le cabanier, qui se rappelait avoir vu fusiller les réfractaires et ceux qui leur donnaient asile pendant la guerre de la Vendée.

— Quoi qu’il arrive, continua le gendarme, je vous aurai averti ; il ne faudra vous en prendre qu’à vous-même, si le procureur du roi se fâche et si les garnisaires vous mangent.