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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/297

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du modèle ; c’est à cette cause qu’il faut rapporter la supériorité de la nature italienne sur la nature espagnole, des femmes de Raphaël sur les femmes de Murillo. Toutefois, quelle que soit l’évidence de ce principe, l’art ne doit pas en abuser. Les pieds de la Diane n’ont peut-être pas toute la jeunesse que promettaient les mamelles et les hanches du modèle. La forme en est bonne, l’arcade comprise entre le talon et la naissance des phalanges offre une ligne heureuse ; mais les malléoles, trop peu arrondies, trop peu enveloppées, ne sont pas du même âge que les hanches et les mamelles. Quant aux mains, malgré leur souplesse divine, malgré les adorables fossettes placées à la naissance des doigts, il n’est pas permis de les accepter comme vraies. La longueur des phalanges est évidemment exagérée ; et quoique je préfère les mains modelées d’après ce principe aux mains modelées par Coustou, qui a trop souvent sacrifié à la petitesse la véritable élégance, je suis forcé de signaler dans les mains de la Diane l’exagération d’un principe excellent.

Après la Diane, que je crois avoir envisagée sous toutes ses faces, l’œuvre la plus importante de Jean Goujon est, sans contredit, la tribune de la salle dite des Cent-Suisses, qui plus tard servit aux réunions de l’Académie française, et qui maintenant renferme quelques-uns des morceaux les plus précieux du Musée des antiques. S’il est vrai, en effet, que les figures sculptées en bas-relief n’ont pas moins d’importance que les figures modelées en ronde-bosse, il n’est pas moins vrai cependant que les figures modelées en ronde-bosse offrent des occasions plus nombreuses et je dirais volontiers plus décisives de juger le savoir de l’auteur. Or, les caryatides de la salle des Cent-Suisses, bien qu’adossées à la muraille, ne sont pas engagées dans le fond, et le spectateur qui veut les étudier peut en faire librement le tour. C’est là un avantage qui permet d’estimer les mérites et les défauts de l’œuvre avec une parfaite sécurité. Dans les figures modelées en bas-relief, bien des questions ne peuvent être résolues que par voie de conjecture. On a beau s’appuyer sur les principes les plus élémentaires du dessin, c’est-à-dire sur les notions les plus précises, il faut se résigner à tenir compte des conditions de la perspective. Les caryatides de la salle des Cent-Suisses, modelées en ronde-bosse, offrent à l’esprit un sujet d’étude beaucoup plus facile : c’est pourquoi je crois pouvoir essayer de les analyser aussi sévèrement, aussi minutieusement que la Diane. Assurément ces figures sont empreintes d’une harmonieuse grandeur. Il est permis, sans présomption, d’affirmer que, depuis les figures sculptées dans le Paros sous l’administration de Périclès, jamais figures plus majestueuses, plus puissantes, ne sont nées sous le ciseau. Cependant, malgré mon admiration profonde pour ces caryatides, dont le rang et la valeur sont fixés depuis long-temps, je crois avoir le droit de discuter et même de blâmer plusieurs parties de la composition.