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faires, et qui depuis 1848 n’en font que de petites et de mauvaises ? Ils pensent, comme M. Rouher, que la révolution de février est une catastrophe. — Et cet agriculteur qui, avant 1848, vendait aisément et à bon prix ses denrées, grace à la prospérité publique, et que la révolution du 24 février a appauvri par la mévente de ses denrées et par les 45 centimes ? Il pense, comme M. Rouher, que la révolution de février est une catastrophe. — Et ces artistes qui trouvaient dans le goût du luxe et des beaux-arts répandu partout dans le monde l’honorable et utile emploi de leurs talens, et qui, depuis 1848, n’ont plus à qui dédier leurs pinceaux et leurs ciseaux ? Ils pensent, comme M. Rouher, que la révolution de février est une catastrophe, et ils le pensent d’autant plus maintenant, que, grace à l’entraînement de leur imagination, ils ne l’ont peut-être pas tous pensé en commençant. — Et ces ouvriers, enfin, que la révolution de février a enfiévrés de la passion de l’impossible, et qui comprennent maintenant que, quelle que soit la forme du gouvernement, l’impossible reste toujours l’impossible, qui voient surtout combien ils ont perdu à l’appauvrissement universel ? Ils pensent, comme M. Rouher, que la révolution de février est une catastrophe. Qui donc est tenu de penser le contraire ? — L’état ! nous dit-on, l’état ! parce que l’état nouveau est sorti de la révolution de février.

Ainsi, pour les commerçans et pour les manufacturiers, pour les agriculteurs, pour les artistes, pour les ouvriers, pour tout le monde enfin, la révolution de février est une catastrophe. Pour l’état seulement ce n’est point une catastrophe. M. Rouher a dit la vérité de tout le monde ; mais il a contredit la consigne de l’état, telle du moins que les montagnards entendent la consigne de l’état.

Les montagnards ont sur ce point un argument qui leur semble triomphant. Le 10 décembre, disent-ils, procède du 24 février, et M. Rouher procède du 10 décembre. Donc M. Rouher, ministre du 10 décembre, n’a point le droit de dire que la révolution de février est une catastrophe. Oui, le 10 décembre, selon nous, procède du 24 février, comme la médecine procède de la maladie. Ah ! s’il n’y avait pas de maladie, il n’y aurait ni médecins ni remèdes : cela est vrai ; mais cela veut-il dire que les médecins sont tenus de rendre en tout lieu foi et hommage à la maladie, même au lit du malade ? Cela veut-il dire qu’il leur est défendu, au nom d’Esculape et d’Hippocrate, de regretter que le malade ait eu la fièvre ? Cela veut-il dire que le chirurgien, abordant l’homme qui vient de se casser la jambe, ne pourra pas, sous peine de forfaiture, lui tenir ce langage : Ah ! mon Dieu, quel accident ! quelle catastrophe ! Il est possible que les médecins bénissent tout bas la maladie qui fait qu’il y a des médecins dans le monde ; mais c’est bien bas, soyez-en sûrs. Oh ! assurément, si nous n’avions pas eu le 24 février et le gouvernement provisoire, nous n’aurions pas eu le 10 décembre ; nous n’aurions pas eu, dans l’élection du président et dans l’élection de l’assemblée nationale, la grande et solennelle protestation que nous avons vue. Mais quoi ? la maladie a amené le remède ; c’est ce qu’elle fait toujours quand elle n’amène pas la mort. Or après le 24 février il fallait que la société pérît ou guérît. Il y avait des chances pour l’un et l’autre dénoûment. Les bonnes chances l’ont emporté sur les mauvaises. La guérison et non la mort a suivi la maladie. Dira-t-on que la guérison procède de la maladie ? Voilà pourtant quelle est la logique de la montagne, quand elle prétend que le 10 décembre procède du 24 février !