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les petits hommes ; mais, de bonne foi, où sont les grandes idées ? Le XVIIe siècle et le XVIIIe siècle ont eu leurs grandes idées ; le XIXe siècle a eu aussi ses grandes idées sous Napoléon, et ses bonnes et justes idées, disons-le, ce qui vaut les grandes idées, sous la monarchie constitutionnelle. Et la preuve que ces idées étaient grandes et bonnes, c’est qu’elles existent encore, c’est qu’elles constituent le fond de l’opinion générale, c’est que nous vivons tous en politique sur les idées qui nous viennent de l’empire ou de la monarchie constitutionnelle. Mais la révolution de février, quelles grandes ou quelles bonnes idées a-t-elle produite ? Est-ce une idée que de dire aux ouvriers que les salaires doivent être proportionnés aux besoins, c’est-à-dire que le meilleur moyen d’avoir beaucoup à manger, c’est d’avoir beaucoup d’appétit ? Est-ce une idée que de dire aux passions brutales : Satisfaites-vous ! — aux envieux, enviez ! – aux concupiscens, prenez ! — aux haineux, haïssez ! Est-ce une idée que de faire des sept péchés capitaux un système politique ? Or nous défions qu’on trouve une seule des prétendues idées enfantées par la révolution de février et par les docteurs du gouvernement provisoire qui n’aboutisse à la satisfaction d’un des sept péchés capitaux ou de tous les sept ensemble. Sont-ce là des idées nouvelles ? Assurément non. Il y a dans les lettres historiques de Mme Dunoyer un mot qui nous revient toujours en tête, quand nous entendons parler des idées de la révolution de février ou de la théologie de M. Pierre Leroux. On demandait un jour, dit Mme Dunoyer, quelle est la meilleure manière de se délivrer d’une tentation. Les uns répondaient qu’il fallait faire ceci, les autres qu’il fallait faire cela. — Vous êtes bien embarrassés, dit quelqu’un : la meilleure manière de se délivrer d’une tentation, c’est de la satisfaire. — Voilà toute la doctrine de la révolution de février.

Beaucoup de chimères, beaucoup de folles utopies greffées sur beaucoup l’ambition et d’orgueil, telles sont, selon nous, les grandes idées de nos jours La première pensée venue, le plus ordinaire cerveau du monde, pourvu qu’il fermente un peu, après avoir touché au mauvais levain du temps, enfante un système général du monde et de la société. Nous lisions dernièrement une brochure intitulée Armanase ou le Règne de la capacité. L’auteur nous avertit dans sa préface qu’Armanase, dans la langue sacrée de l’Inde, veut dire l’empire de l’intelligence, et c’est cet empire qu’il veut réaliser sur la terre. Comme l’auteur nous paraît un penseur solitaire et honnête, nous sommes persuadés que nous n’avons pas affaire en lui à quelque dictateur futur, et qu’il ne trônera pas quelque jour au Luxembourg. S’il en était autrement, nous serions effrayés du mal que ferait la fondation de l’Armanase, en voyant les merveilles que nous promet l’auteur. Règle générale : aussitôt qu’on me promet de réaliser une merveille ici-bas, j’ai peur, sachant ce qu’est l’humanité et ce qu’est mon temps. Voici, par exemple, ce que serait Paris dans l’Armanase. Pardon de cette citation ; mais il nous semble bon de voir ce qu’est une des grandes idées de notre temps, avant qu’elle ait passé par la pratique de quelque gouvernement provisoire, et quand elle est encore dans le simple appareil de l’idée pure.

PARIS ARMANASIEN

« Nous n’osons esquisser en ce moment ce que nous entendons par une ville