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après la philosophie des faits qu’il raconte, il les énumère et les entremêle, pour ainsi dire, au jour le jour, en les laissant parler d’eux-mêmes. Telle est cependant la force naturelle avec laquelle ils découlent les uns des autres, que tout cela ne manque pas de suite, et la vie semble, au contraire, éclater avec plus de puissance et de vérité dans la confusion de ce rapide enchaînement. Les chiffres, les portraits, les anecdotes se succèdent sans presque se tenir autrement que par les liens d’ailleurs très peu serrés de l’ordre chronologique. Du tableau d’une crise financière, on passe à une esquisse de mœurs politiques ou privées, d’un trait de friponnerie vulgaire ou d’héroïsme mercantile à quelque grande scène de corruption ou de vertu constitutionnelle ; on quitte un loup-cervier pour aborder un homme d’état, ou bien c’est une de ces hardies et solides figures de marchands anglais qui se croise avec le personnage banal d’un député vendu. Tous les événemens de l’histoire d’Angleterre depuis le règne de Guillaume III sont ainsi effleurés, soit par un côté, soit par l’autre ; car tous viennent en quelque sorte se répercuter dans les variations du crédit public. Il faut choisir au milieu de cette masse de faits et pour donner une idée du livre et pour en tirer nous-mêmes notre profit. Deux points surtout méritent d’être relevés dans ces instructifs mélanges, non pas que M. Francis ait pensé le moins du monde à leur donner plus de saillie ; mais ce sont ceux-là qui doivent nous frapper davantage, si nous reportons un peu notre esprit sur nos propres destinées.

Le premier étonnement qui vienne à un lecteur français en parcourant ces annales du monde de l’argent, c’est de voir avec quelle impudeur l’argent s’est employé à presque toutes les époques dans les coulisses du parlement anglais. Ce bel édifice de la constitution britannique inspire à distance une admiration, du reste, si fondée, qu’on est toujours surpris, en y regardant de plus près, des imperfections qui le déparent. La meilleure preuve de sa vigueur, c’est peut-être d’avoir résisté à ses propres vices. La corruption des hommes publics, le trafic ouvert des opinions et des votes, la vénalité vile et marchande des représentans de la nation, tous ces tristes moyens de gouvernement, l’Angleterre les a pratiqués, et elle n’a pas succombé à l’usage de procédés si désastreux. Ces procédés ont même été plus grossiers chez elle que dans aucun autre état, et elle n’a cependant pas perdu le sens de la grande politique en maniant si brutalement les intrigues et les ressorts de la petite. Quand on a parlé de l’immoralité de Walpole, quand on a rappelé l’Irlande vendue à beaux deniers comptant par ses lords et ses communes, on croit avoir épuisé tous les momens et tous les traits de ce honteux système. L’histoire de la Bourse nous en offre d’autres plus piquans peut-être, s’ils ne sont pas aussi éclatans. C’est le créateur même de la dette anglaise, le prince assez hardi pour asseoir sur la puissance encore inconnue du crédit la prospérité moderne du peuple anglais, c’est Guillaume III qui utilise ses emprunts au moins autant à s’acheter des votes qu’à se procurer des écus. Il lui faut de l’argent pour soutenir sa guerre européenne contre la France, mais il lui faut aussi de la sécurité pour s’établir à l’intérieur ; il la lui faut prompte, facile, sans tiraillement. Il la paie avec le même sang-froid qu’on la lui vend. De grosses parts dans les emprunts, des billets dans les loteries, qui sont alors une des grandes ressources du trésor,