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Le métier cependant avait ses fatigues, ses périls, ses ennuis. Il fallait lutter contre un climat dévorant et affronter la fièvre jaune ; parfois aussi des épidémies, — la petite vérole par exemple, qui autrefois décima les populations indigènes, — se déclaraient parmi les équipages et forçaient la barque à s’arrêter en route. Les Canadiens, fantasques et indépendans, ne se montraient pas toujours fort dociles ; il suffisait d’une réprimande inopportune, d’un repas précipité, pour exaspérer tout à coup ces rameurs, d’ordinaire si calmes et si résignés. Malgré ces obstacles, le caboteur prenait patience ; il y avait d’ailleurs des compensations. Dans les habitations où il abordait pour vendre ses marchandises, sa présence causait une joie générale. Il était le bienvenu, on le recevait avec égards, car la plupart des riches planteurs avaient commencé comme lui, ce qui ne les empêchait pas de se laisser prendre, eux et leurs familles, au babil et aux offres pressantes du marchand ambulant. Celui-ci s’asseyait de droit à la table hospitalière du planteur. Après le dîner, quand il avait amusé par ses récits les dames et les enfans, le caboteur ouvrait ses ballots, réservant toujours ses plus belles marchandises pour la fin, si bien que, quand la famille du planteur avait acheté les articles les plus essentiels du ménage, elle ne résistait point au désir d’acquérir des superfluités. Ce premier marché conclu, le caboteur pliait bagage le plus lentement possible, et débitait des nouvelles : il en savait tant ! Puis, le lendemain, au moment de partir, il se souvenait, comme par hasard, de certaines parures riches et de bon goût qu’il tenait soigneusement cachées en un coin de sa cabine. Nouvelle tentation pour les jeunes filles !… Par complaisance, le marchand arrêtait ses rameurs prêts à prendre le large, on discutait à la hâte le prix de ces objets ardemment désirés ; bref, le caboteur, qui avait un pied sur le rivage et l’autre sur le bord de la barque, donnait habilement son dernier coup de filet. Quant au paiement, chacun se conformait à l’usage de ces temps-là : comptant et en argent, ou double et en nature à la prochaine récolte. Le marchand plaçait ainsi, avec de gros bénéfices, le long des rivières de la Louisiane, une foule d’articles surannés dont on ne voulait plus en Europe à aucun prix. Quand il avait épuisé sa pacotille, il commençait à redescendre à vide, prenant sur sa route les balles de coton et les barriques de sucre qui formaient sa cargaison de retour. Peu à peu, la barque se remplissait, et le courant du Mississipi conduisait doucement aux quais de la Nouvelle-Orléans l’équipage reposé et le patron enrichi. Les steamers ont tué peu à peu ce petit commerce ; les maîtres de barque se sont faits planteurs et négocians. J’ai vu, — il y a bien des années déjà, — les derniers bateaux des caboteurs échoués sur les grèves et abandonnés !

Parmi les rameurs, ceux qui avaient eu la prévoyance d’amasser