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que ce clerc était un mécanicien, c’est-à-dire un prestigiateur et un nécromancien : Mechanicum illum, seu proestigiatorem[1] esse et necromantioe deditum[2].

De semblables accusations ont été fréquemment portées, durant cette période, contre les hautes intelligences qui s’adonnaient aux études mathématiques et physiques, à commencer par Gerbert, devenu pape au Xe siècle sous le nom de Sylvestre II. L’orgue hydraulique qu’il avait construit à Reims, l’horloge ou plutôt le cadran sidéral[3] qu’il établit à Magdebourg pour Othon III, la prétendue tête d’airain parlante que lui attribue Guillaume de Malmesbury[4], le firent passer pour magicien. Cette même rêverie d’une tête d’airain parlante fut imputée encore à plusieurs savans personnages du XIIIe siècle, entre autres, à Robert Grosse-Tête, évêque de Lincoln[5], et à Albert-le-Grand. On disait à voix basse dans les écoles qu’Albert avait employé trente années d’efforts à fabriquer par les mathématiques ou par la chimie, d’autres disaient par certaines combinaisons astrologiques, une tête de bois ou d’airain qui répondait à toutes les questions[6]. Quelques-uns allaient jusqu’à prétendre qu’il avait forgé un homme dont le cou, les bras et les jambes, façonnés en divers temps sous l’influence de certaines constellations, avaient été enfin réunis de manière à former un être artificiel complet, ce que Gabriel Naudé appelle un androïde[7]. Et, comme il ne subsistait naturellement aucune trace de cette merveille, on expliquait sa disparition en disant que le jeune Thomas d’Aquin, son disciple, celui qui devait bientôt devenir une des lumières de l’église, piqué d’être toujours vaincu par le caquet syllogistique de cette créature équivoque, l’avait frappée d’un coup de bâton et mise en morceaux[8].


IV. – MARIONNETTES DEMI-RELIGIEUSES ET DEMI-POPULAIRES.

Les marionnettes mues ostensiblement par des fils n’exposaient pas ceux qui les fabriquaient ou qui les faisaient mouvoir à autant de calomnies et de périls, et demandaient pour leur construction moins de

  1. On n’avait pas encore forgé l’abominable barbarisme prestidigitateur.
  2. Mabill., Annal. ordin. Benedict., t. IV, p. 563.
  3. Ditmar., Chron., liv. VI, p. 399.
  4. Voyez Guill. Malmesbur., De gestis regum Anglicor., lib. II, cap. 10, p. 36-37. Cf. Hist. litt. de France, t. VI.
  5. Joh. Gower., Confessio amantis ; ap. Selden.
  6. Voy. Alph. Tostat., Comm. in Exod., cap. 14. Oper., t. II, pars 1°, p. 181. — Comm. in Num., cap. 21, t. IV, pars II°, p. 38. — Paradox., t. XII, pars 2a, p. 93.
  7. Voy. Apologie pour tous les grands personnages qui ont été soupçonnés de magie. 1653, p. 529 et suiv.
  8. Cervantes, qui a porté le dernier coup à toutes les rêveries du moyen-âge, n’a pas oublié les folles histoires de têtes d’airain parlantes. Voyez Don Quijote, part. Ila, cap. 62.