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le tambour, les autres sonnaient du clairon ; on en voyait qui s’avançaient au pas de course les uns contre les autres comme des ennemis, et s’attaquaient avec des lances. Quelquefois Torriani lâchait dans la chambre de petits oiseaux de bois qui volaient de tous côtés, et qui étaient construits avec un si merveilleux artifice, qu’un jour le supérieur du couvent, qui se trouvait présent par hasard à ce spectacle, parut craindre qu’il n’y eût en tout cela de la magie[1]. »

Toutefois il ne faut pas croire que le génie même déclinant de Charles-Quint ne cherchât dans l’étude de la mécanique que d’ingénieux passe-temps. Il agitait et résolvait avec Torriani de plus utiles et plus sérieux problèmes, entre autres un projet hardi et gigantesque que Gianello mit à exécution après la mort du prince, et qui consistait à faire monter les eaux du Tage jusque sur les hauteurs de Tolède.

Les améliorations apportées au mécanisme des marionnettes par l’habile mathématicien de Crémone ne tardèrent pas à passer dans la pratique journalière des titereros[2], car les marionnettes n’étaient pas alors en Espagne seulement un jeu de prince, elles avaient droit de station sur toutes les places et champs de foire, et leur entrée même dans presque toutes les églises.


II. – MARIONNETTES RELIGIEUSES.

La prescription du XIVe chapitre du synode d’Orihuela, qui excluait les titeres des cérémonies ecclésiastiques, n’a pas été, comme il était aisé de le prévoir, fort exactement observée. Les statuettes de saints à jointures mobiles et les madones frisées, fardées et à ressorts ont continué long-temps à stimuler la piété des fidèles par des moyens qui, en d’autres contrées, auraient produit un effet contraire. Nous trouvons, soixante ans après le synode d’Orihuela, une preuve manifeste de l’inexécution de ses défenses. Nous citons cette preuve de préférence à plusieurs autres, parce qu’elle se lie à des souvenirs français. Une des victimes de Boileau, Matthieu de Montreuil, assez spirituel d’ailleurs, du moins en prose, accompagna le cardinal Mazarin à l’île de la Conférence, et assista aux préliminaires du mariage de l’infante et de Louis XIV. Il vit à Saint-Sébastien, le jour de la Fête-Dieu, défiler une procession où d’énormes marionnettes donnèrent à la cour d’Espagne et à la foule des étrangers réunis dans cette ville un bien singulier spectacle. Je laisse parler Montreuil :

  1. Fl. Strada, De la guerre de Flandre, livre I, 1ère décade ; traduction de du Ryer retouchée.
  2. Titerero était le nom qu’on donnait aux joueurs de marionnettes du temps de Cervantes ; on dit aujourd’hui titiritero. Titerista se trouve aussi, mais rarement. Voyez Salvador Jacinto Polo de Medina, Obras en prossa (sic) y verso, p. 194.