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les qualités qui leur sont propres ; elles cherchent et applaudissent les qualités et les défauts contraires aux leurs. Ce qui distingue le peuple, c’est l’instinct, la spontanéité, même une certaine franchise brutale toutes ces qualités pourtant, il s’en soucie peu ; il vise plus haut et se fait rhéteur, acteur, même tant soit peu pédant. Ses livres, quand il écrit, n’ont pas les qualités franches de son tempérament. De notre temps, le peuple a fait tout ce qu’il a pu pour fausser sa nature, j’espère qu’il n’y a pas réussi complètement ; c’est pour cette raison que M. Louis Blanc a été pendant quatre mois et est encore l’écrivain et le docteur préféré par le peuple. M. Caussidière, à cause des défauts contraires, a été, à un certain moment, le lion du jour, la coqueluche des bourgeois, la merveille rare toujours nécessaire au Parisien, qui fut très heureux de pouvoir rencontrer, dans un membre du gouvernement qui lui coûtait si cher, hélas ! cette excentricité dont il ne saurait se passer. L’affectation brutale de M. Caussidière, ses naïvetés étudiées, sa fine grossièreté, toutes ces qualités et tous ces défauts joués et menteurs plurent énormément aux classes cultivées de la société, à tous les hommes fatigués de s’exprimer correctement et de parler avec politesse. M. Caussidière fut donc pour eux ce que le moindre brin de gazon est pour le Parisien à la campagne, ils pouvaient respirer a l’aise avec lui et rire sans se gêner. C’est la seule raison du succès immense obtenu par M. Caussidière, et ce rôle de clown, de gracioso si habilement continué au milieu de la troupe maussade qui paradait à l’Hôtel-de-Ville fut aussi pour l’ancien préfet de police un sûr moyen de dérouter la malveillance de ses adversaires naturels.

M. Caussidière, en somme, s’était montré politique plus habile que M. Louis Blanc, dont il n’avait pourtant ni l’intelligence ni la culture. C’est que M. Caussidière est un type. M. Louis Blanc, sans doute, est un type aussi, mais c’est un type très répandu en Europe, très commun parmi les jeunes hommes de lettres parisiens et les étudians des universités allemandes, c’est un type superficiel. Quant à M. Caussidière, il faut l’avouer, c’est le sauvage moderne, le sauvage né au milieu de la civilisation. Ce n’est point une insulte que nous lui adressons ; il n’est certainement pas l’unique exemplaire, seulement il est l’édition la plus remarquable du type dont je parle. C’est l’homme sur lequel la religion n’a jamais mordu, que l’éducation n’a pas pétri dès ses premiers ans, qui ne sait ce que c’est que la règle, et qui par conséquent s’irrite de la contrainte. Pour toutes ces raisons, la civilisation le gêne considérablement ; tout l’embarrasse ; et à la longue tout lui est piége, parce qu’il n’a la connaissance exacte d’aucune règle morale. Dès-lors, l’instinct de la conservation physique et la lutte contre les pouvoirs moraux deviennent la condition même de son existence. Ces sortes d’hommes sont les utilitaires du radicalisme. Les doctrines leur importent