Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/592

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fautes. Notre époque n’est pas moins avide que le siècle passé de mémoires et de confidences ; la simplicité et la franchise sont toutefois portées moins loin aujourd’hui par les écrivains. Ce serait une comparaison instructive à faire dans tous les cas, si la vérité pouvait avoir quelque chose de l’attrait du roman.


III. – PREMIERES ANNEES.

Le village de Saci, situé en Champagne, sur les confins de la Bourgogne ; à cinquante lieues de Paris et trois d’Auxerre, est traversé dans toute sa longueur d’une seule rue composée de chaque côté d’une centaine de maisons. À l’une des extrémités, appelée la Porte là-haut, en traversant un ruisseau nommé la Farge, on trouve l’enclos de Labretonne, dont les murs blancs se dessinent sur un horizon de bois et de collines vertes. C’est là qu’était né Nicolas Restif, dont le grand-père, homme instruit et allié à la magistrature, se croyait descendant de l’empereur Pertinax. Il est permis de croire que la généalogie qu’il avait dressée à cet effet n’était qu’un jeu d’esprit destiné à ridiculiser les prétentions de quelques gentilshommes,.ses voisins, qu’il recevait à sa table. Quoi qu’il en soit, la famille des Restif était considérée dans le pays autant par son aisance que par ses relations ; plusieurs de ses membres appartenaient à l’église : on songea d’abord à lancer le jeune Nicolas dans cette carrière, mais son naturel indépendant et même un peu sauvage contraria long-temps cette idée. Il ne se plaisait qu’au milieu des bergers, dans les bois de Saci et de Nitri, partageant leur vie errante et leurs fatigues. Il avait douze ans environ, quand ce goût se trouva favorisé par une circonstance imprévue. Le berger de son père, qui s’appelait Jaquot, partit tout à coup, sans mot dire, pour le pèlerinage du mont Saint-Michel, qui était pour les jeunes gens du pays comme celui de sainte Reine pour les filles. Un garçon qui n’était pas allé au mont Saint-Michel était regardé comme un poltron. De même, il paraissait manquer quelque chose à la pudeur d’une jeune fille qui n’avait pas visité le tombeau de la belle reine Alise, la vierge des vierges. Jaquot parti, le troupeau se trouva sans gardien. Nicolas s’offrit bien vite à le remplacer. Les parens hésitaient : l’enfant était si jeune. et les loups se montraient souvent dans le voisinage ; mais enfin il manquait de monde à la ferme, le voyage de Jaquot ne devait durer que quinze jours : on nomma Nicolas berger intérimaire.

Quelle joie ! quel délire dans ce premier jour de liberté ! le voilà qui sort à la pointe du jour du clos de Labretone suivi des trois gros chiens Pinçard, Robillard et Friquette. Les deux plus forts moutons portaient sur leur dos les provisions de la journée avec la bouteille d’eau rougie et le pain pour les chiens. Le voilà libre, libre dans la