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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/601

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sa chaussure dans toute la maison ; Nicolas trembla qu’elle ne découvrit sa fantaisie, et, entrant chez elle, il laissa tomber la mule dans un coffre le plus adroitement possible ; mais la gouvernante ne fut pas dupe de cette manœuvre : elle se chaussa sans rien dire cependant. Nicolas admirait comment ce petit objet prenait si facilement la forme du pied de la gouvernante. « Avouez-moi une chose, lui dit celle-ci avec un sourire, c’est que vous aviez caché ma mule… » Nicolas rougit, mais convint de la vérité. Cette mule avait passé la nuit dans sa chambre. « Pauvre enfant ! dit-elle, je vous excuse, et je vois que vous seriez capable d’en faire autant pour Jeannette Rousseau qu’un certain Louis Denesvre en a fait pour… une autre.

— Pour qui donc, sœur Marguerite ? (C’était ainsi qu’on l’appelait au presbytère.)

Marguerite ne répondit pas. Nicolas rêva long-temps sur cette demi-confidence. Le surlendemain, la gouvernant avait affaire à la ville voisine, c’est-à-dire à Auxerre. L’âne de la cure était un roussin fort têtu, et qui, plusieurs fois déjà, avait compromis la sûreté de sa maîtresse. Nicolas, plus fort que les enfans de chœur qui le guidaient ordinairement, fut choisi pour cet office. Marguerite monta lestement sur sa monture ; elle avait un bagnolet de fine mousseline sur la tête, la taille pincée par un corset à baleines souples recouvert d’un casaquin de coton blanc, un tablier à carreaux rouges, une jupe de soie gorge de pigeon, et les fameux souliers de maroquin ornés de boucles à pierres. Son sourire habituel n’excluait pas une intéressante langueur, ses cheveux noirs étaient doux et brillans. À la descente de la vallée de Montaleri, qui était difficile, Nicolas la prit dans ses bras pour lui faire mettre pied à terre et la soutint jusqu’au fond de la vallée, où elle marcha quelque temps sur le gazon. Il fallût ensuite la faire remonter sur l’âne, car de ce moment le chemin était droit jusqu’à la ville. Nicolas arrangeait de temps en temps les jupes de Marguerite sur ses jambes, affermissait ses pieds dans le panier ; celle-ci souriait en le novant toucher ses mules vertes, ce qui amenait la conversation sur Jeannette ; puis, l’âne faisait un faux pas, Nicolas soutenait la sœur par la taille, et cela la faisait rougir comme une rose.

— Comme vous aimez Jeannette ! dit-elle, puisque la seule pensée que mes mules vertes pourraient convenir à son pied vous préoccupe encore à présent.

— C’est vrai, dit Nicolas en retirant avec embarras ses mains du panier.

— Eh bien ! moi aussi, dit Marguerite, je ne puis m’empêcher d’aimer tendrement la fille d’un homme qui m’a été cher et qui n’a jamais eu volontairement de torts avec moi. Ainsi, je vous approuve de rechercher la main de cette jolie fille ; mais surtout ayez de la prudence