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joie fit rouler quelques larmes sur son visage vénérable, et me prenant les mains avec affection, il dit qu’il songerait à mon avancement. Généraux et colonels vinrent entendre les bonnes nouvelles de Vérone, qui furent en un instant communiquées à toute l’armée ; j’étais parfaitement heureux.

Je repartis, et, dépassant l’avant-garde,.qui devait s’arrêter à Lonato, je continuai seul ma route vers Peschiera, le cheval de mon chevau- léger étant trop fatigué pour suivre le mien. Comme je sortais de Desenzano, je me rappelai qu’au matin on avait, à notre vue, sonné en signe d’alarme la cloche d’une petite église à droite de la route. J’y courus au galop ; quelques groupes d’hommes étaient réunis devant l’église. J’arrivai comme la foudre au milieu d’eux, et, arrêtant mon cheval, j’ajustai l’un d’eux avec mon pistolet : « Il est cinq heures, lui dis-je ; si dans vingt minutes cette cloche n’est pas descendue et chargée sur une voiture, je te fais sauter la cervelle. » Il tomba à genoux, se mit à gémir et à crier aux hommes qui étaient là : « Pour l’amour de Dieu ! vite ! vite ! ayez pitié de moi, je vais être tué ; vite la cloche ! » Quelques-uns coururent alors à l’église détacher la cloche, et les autres attelèrent une carriole. Pour que la peur les fit aller vite, j’abaissais à chaque moment le canon de mon pistolet vers mon homme, qui se mettait alors à crier et baissait la tête comme un canard qui plonge. Il était si effrayé, que, quand voyant que je n’avais plus rien à craindre je lui dis d’être tranquille, et que sur mon honneur il ne lui arriverait rien, il n’osait encore se relever. Pour le rassurer, je lui donnai quelques pièces d’argent.

J’entrai triomphalement à Peschiera, suivi de la carriole où était cette cloche, et, voulant être le premier à annoncer au général d’Aspre à Vérone les bonnes nouvelles du maréchal et de son armée, je partis sur un cheval frais, accompagné d’une ordonnance ; mais, comme ce cavalier ne pouvait me suivre assez vite, je lui dis de venir me trouver au café militaire dès qu’il serait arrivé à Vérone, et je partis en avant. J’entrai dans la ville à dix heures du soir et allai tout de suite annoncer au général d’Aspre que l’armée du maréchal était presque tout entière à Montechiaro et venait se réunir à la sienne ; tous furent heureux, me serrèrent les mains et envièrent franchement mon bonheur d’avoir rejoint et d’avoir vu le maréchal j’étais brisé de fatigue, je me jetai sur un canapé et m’endormis.

Les premiers officiers que je rencontrai le lendemain de grand matin sur la place paraissaient étonnés et joyeux de me voir. « Ah ! le voilà : » me disaient-ils en m’embrassant cordialement. J’étais surpris de cette joie si démonstrative, je l’attribuais à la bonne nouvelle que j’avais apportée ; mais ils l’ignoraient encore, et je ne compris rien d’abord à ce qu’ils disaient. J’appris enfin ce qui causait leur surprise.