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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/680

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d’un autre écrivain, aussi obscur alors qu’il est depuis devenu célèbre, qui, dans un écrit étrange et original sur la Propriété, déposait toutes les pensées qui ont alimenté ses publications postérieures, M. Proudhon. Toutes ces écoles se répandaient sourdement, et la plupart des hommes d’état, les esprits les plus éminens, ignoraient presque leur existence, quand tout à coup, trouvant une issue au 24 février, elles débordèrent et firent éclater à tous les yeux leur prodigieuse vitalité.

Veut-on s’assurer des progrès que les sectes socialistes avaient déjà accomplis à la fin de la monarchie de juillet ? Il suffit de jeter un coup d’œil sur la composition des pouvoirs nouveaux. Pas un seul chef de secte que le flot de la révolution n’ait porté jusqu’aux postes les plus éminens. Membre du gouvernement provisoire, M. Louis Blanc installe au Luxembourg un second gouvernement, qui menace à chaque instant de dévorer l’autre. Sans parler de M. Cabet, partie influente d’un troisième gouvernement, celui des clubs, nous trouvons à l’Hôtel-de-Ville M. Buchez, qui va bientôt devenir le président de l’assemblée constituante ; il y aura pour confrères M. Corbon de l’Atelier, M.Roux-Lavergne de l’Européen, tous ses anciens coreligionnaires en socialisme, M. Pierre Leroux, M. Proudhon, M. Considérant. Et qui a-t-on chargé du ministère qui touche aux intérêts les plus élevés de la société, l’éducation publique, les cultes ? Trois anciens prédicateurs saint-simoniens : M. Carnot, M. Jean Reynaud, M. Charton.

Voilà l’école socialiste au pouvoir. Nous ne lui demanderons pas ce qu’elle en a fait ni pourquoi elle l’a perdu. Uniquement occupé de la marche spéculative des idées, nous posons cette seule question : — Depuis que le socialisme a passé du rôle d’église triomphante à celui d’église militante, qu’a-t-il produit en fait d’idées ? qu’est devenue sa philosophie ? Comme réponse à cette question, nous trouvons partout la dissolution et le silence. Où est l’école de l’Européen ? Elle a voulu revivre, elle ne l’a pu ; M. Buchez se tait ; son ancien collaborateur, M. Roux-Lavergne, a quitté le drapeau : changeant de forme sans changer de substance, l’ardent apologiste de la terreur est devenu un des champions de l’ultramontanisme et de la sainte inquisition. Où est l’école de l’Encyclopédie ? dissoute ; son œuvre commencée ? interrompue. Le spiritualisme un peu indécis, mais élevé, de M. Jean Reynaud n’a pu s’entendre avec le panthéisme de plus en plus marqué de M. Pierre Leroux. L’école phalanstérienne a-t-elle été plus heureuse ? Non ; l’effort suprême qu’elle fait en ce moment pour ressusciter n’est que la convulsion de l’agonie.

Nous ne demanderons pas à M. Proudhon où en est sa philosophie, car il n’en a jamais eu. M. Proudhon, qui est versé surtout dans les matières économiques, a essayé, il est vrai, de généraliser ses vues, d’aborder les hauts problèmes de la religion et de l’ontologie ; mais ici,