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et ils auront la garantie du passage de Panama à San-Francisco, que la compagnie assure dès le départ de Liverpool.

Je n’ai visité qu’en courant les Antilles espagnoles, danoises, anglaises ; mais je me sais arrêté un peu plus long-temps à Jacmel, petit sort de mer dépendant de l’empire de Soulouque. Jacmel est une misérable petite ville bâtie dans une baie exposée à tous les vents et peuplée presque exclusivement, exclusivement même de noirs. Autour de la ville s’élèvent de grandes montagnes chargées de bois où n’apparaissent ni maisons ni cabanes. À quelques centaines de pas de Jacmel, on est dans la solitude la plus profonde. La première personne que nous ayons rencontrée en débarquant, c’est un commissaire de police, portant avec une gravité sans pareille un costume qui rappelait, à s’y méprendre, celui du Postillon de Longjumeau. Il ne lui manquait que le fouet et le bouquet ; mais il avait de plus un chapeau-tromblon. Ce chapeau-tromblon, je l’ai retrouvé partout, sur la tête de la population civile d’Haïti et sur la tête de l’infanterie de Soulouque ; ce qui me donne à penser que ce chapeau incommode et laid, mais universellement adopté, est moins une affaire de goût qu’une question de patriotisme nègre. Le commissaire de police qui nous avait accostés sur le port nous fit d’abord visiter une caserne où s’exerçait une compagnie de soldats haïtiens, après quoi il nous conduisit au palais du gouverneur de Jacmel. Je retrouvai là tous les types grotesques qui m’avaient paru jusqu’à ce jour des inventions du caricaturiste Cham. L’infanterie qui manoeuvrait sous mes yeux portait l’habit bleu de nos invalides et le pantalon blanc ; mais ce pantalon blanc était gris, jaune ou noir de fumée, selon que le fantassin comptait plus ou moins d’années de service sous les drapeaux. Vétérans et conscrits marchaient pieds nus, le cou libre et la tête ombragée par cet affreux chapeau-tromblon dont la forme pyramidale offusque partout les yeux. Quand les pantalons manquent, l’armée porte des caleçons, et si les caleçons manquent aussi, elle met ce qu’elle peut. Deux fantassins à peu près vêtus montaient la garde à la porte de son excellence le gouverneur, le général Toussaint, nommé duc de Léogane par sa majesté l’empereur ; mais, au moment de notre arrivée, l’un de ces guerriers jouait au bilboquet, l’autre dormait. Un coup de poing arracha le joueur à ses distractions ; un coup de pied réveilla le dormeur. Le duc de Léogane nous attendait dans une magnifique pièce tendue de velours noir, dorée du haut en bas et garnie de meubles superbes style Louis XV. Ce salon de réception est précédé d’une antichambre fort vaste où se tiennent les aides-de-camp. Leur uniforme se compose d’un habit bleu foncé tout étincelant de broderies d’or, à revers et à paremens rouges, d’un pantalon taillé sur le modèle des pantalons que portent nos facteurs