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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/707

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les plus en renom de San Francisco, il m’a semblé que les moindres ténors des cafés chantans des Champs-Élysées, le plus pauvre instrumentiste de nos petits théâtres, gagneraient des monceaux d’or. Les cafés où s’exercent ces virtuoses indescriptibles ne désemplissent pas ; il en est de même des maisons de jeu ouvertes à tous les carrefours. Tout le monde joue ici et le jeu est en permanence. Ce que les chercheurs d’or ont ramassé pendant la saison des fouilles, ils viennent le perdre pendant la saison des pluies. Quelques heureux, — les habiles si vous voulez, — ont réalisé dans ces enfers des fortunes fabuleuses. Ces maisons de jeu, toujours environnées de chalands, présentent, use physionomie animée et curieuse dont les casinos des bords du Rhin et l’ancien Frascati ne sauraient donner l’idée. Ce sont de grandes salles où fonctionnent nuit et jour des tables de roulette, de trente et quarante et de monte, qui est le jeu, le plus en vogue ici. Des monceaux d’or monnayé, en poudre et en cailloux, chargent ces tables, allant et venant. Les joueurs ont, pour la plupart, le costume pittoresque et grossier des mineurs, — des vareuses rouges et bleues, de grandes couvertures ou des capes rayées jetées sur l’épaule, de vastes chapeaux de paille ou de feutre, quelquefois des vêtemens en peaux de bêtes. Les sommes qui s’engloutissent au jeu sont incalculables. Les mineurs ruinés retournent aux placers, fouillent le sable, récoltent l’or et recommencent.

Un des côtés les plus pittoresques de San Francisco est le mélange, la confusion extrême de toutes les classes. Ici tous font tout. Il n’y a pas de métier honteux, pas d’industrie avilissante. Tout se calcule au point de vue du bénéfice. Cependant, si quelque différence pouvait être remarquée dans les rangs mêlés de la société californienne, je dirais que les émigrans appartenant aux classes pauvres affectent plus particulièrement, aussitôt qu’ils ont gagné quelque argent, les dehors du luxe, et cherchent à éclipser leurs voisins. Bien au contraire, les personnes qui, par leur naissance et leur éducation, font partie des classes lettrées de la société européenne se livrent sans relâche à un travail acharné. On a parlé d’un marquis charretier et d’un vicomte chasseur. Rien de plus exact : j’ai rencontré ici l’ancien secrétaire d’un ex-pair de France deux ou trois fois ministre, qui exerçait la profession de garçon de café ; il gagnait 80 fr. par jour à ce métier, qui lui permettait d’attendre quelqu’un de ces hasards fortunés après lesquels soupirent tous les argonautes californiens.

Après avoir passé quelque temps dans la maison du docteur d’Oliveira, médecin français, qui occupe ici la position la plus considérable, la même pensée qui m’avait fait quitter l’Europe pour San-Francisco me fit quitter San Francisco pour les placers, où la ruine de la métropole