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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/828

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elle un jour, je la conduirai à la promenade sur les Grands-Boulevarrds. Elles partirent donc pour s’y rendre par une belle soirée de printemps, Nicolas, retenu jusqu’à sept heures à son imprimerie, devait les aller rejoindre. Il les retrouva assises sur des chaises dans une contre-allée, faisant partie de deux ou trois rangées de femmes élégantes et très remarquées. Un homme mis avec soin, fort brun, et qui paraissait un créole, s’était assis près d’elles, et avait déjà noué une conversation assez soutenue avec la mère. Sara semblait sérieuse ; — elle sourit en apercevant Nicolas, et lui fit place près d’elle. Le cavalier ne tarda pas à saluer ses nouvelles connaissances, et reprit sa promenade.

Deux ou trois jours après, une affaire importante empêcha Nicolas d’aller retrouver les dames à l’heure habituelle. Mme Léeman lui dit en raillant que le cavalier brun leur avait tenu compagnie. La même circonstance se reproduisit l’un des jours suivans. Sara prit Nicolas à part en rentrant et lui dit : « Vous m’abandonnez à des vues que vous n’ignorez pas… Ah ! mon ami ! » Quelques jours plus tard, Mme Léeman parla d’une occasion qui se présentait pour marier sa fille à un homme de condition. Ce fut un coup de poignard pour l’écrivain, qui, comme on sait, était marié, bien que séparé depuis long-temps de l’indigne Agnès Lebègue. Il répondit en soupirant que le bonheur de Sara était pour lui au-dessus de tout, mais qu’il espérait que le prétendu serait digne d’elle. Le lendemain, comme il était indisposé, il vit se glisser sous sa porte une lettre ainsi conçue :

« On veut absolument que ta fille sorte aujourd’hui sans toi, cher bon ami !… Il faut souffrir ce qu’on ne saurait empêcher. Tâche de guérir ton rhume et de te bien porter… Si tu pouvais me trouver une place près d’une dame ou seulement de l’ouvrage, j’aurais de la fermeté pour résister, et je« vivrais satisfaite comme on peut l’être dans ma position. Aime toujours ton amie.

« SARA. »


Dès ce jour, Nicolas alla rendre visite à une dame de condition qui habitait l’île Saint-Louis, et dont il a parlé souvent dans ses Nuits de Paris. Cette dernière consentit à recevoir Sara comme demoiselle de compagnie. En rentrant, il rencontra la mère et la fille en voiture. Mme Léeman lui cria qu’elles allaient au Palais-Royal, qu’il n’avait qu’à les venir rejoindre comme à l’ordinaire. Rassuré sur les sentimens de Sara par sa lettre, il eut l’imprudence de ne pas se presser. Quand il arriva, elles étaient parties.

Nicolas retourne à la maison ; point de lumière… Le cadenas de la porte n’est point ôté. Il monte chez lui, se consume d’impatience, se promène à grands pas, et sort de temps en temps pour aller au-devant des deux femmes. Personne ne vient : minuit sonne ; au dernier coup,