Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la route du sensualisme absolu comme par celle du conceptualisme, on arrive à cette conséquence, que la science humaine n’a qu’une valeur relative, qu’elle n’est qu’un cadre régulier et systématique, mais vide de réalité, que Dieu, la vie future, le monde lui-même, sont des énigmes à jamais indéchiffrables ; en un mot, on aboutit au scepticisme.

Ou nous nous trompons fort, ou il y a dans cette conséquence dernière et inévitable de quoi faire réfléchir un esprit aussi élevé que celui de M. Hauréau. On sent respirer à toutes les pages de son livre une ame naturellement faite pour toutes les doctrines généreuses, un ardent ami du progrès, par conséquent un adversaire décidé de l’esprit de doute et d’indifférence. Un tel esprit est évidemment dévoyé quand il prend la route du nominalisme. Ce n’est pas sérieusement que M. Hauréau place sa doctrine sous le patronage du grand nom de Leibnitz. Quand il emprunte, pour servir d’épigraphe à son livre, un passage où l’auteur des Essais de Théodicée se range du côté de Roscelin, ce n’est là qu’un artifice qui ne peut faire illusion à personne, surtout à un critique aussi instruit que M. Hauréau. J’ai à peine besoin de lui rappeler que ce passage est extrait d’un petit écrit de la jeunesse de Leibnitz. Élevé par Thomasius dans un commerce intime avec la scolastique, Leibnitz trouva que les cartésiens la méprisaient trop. Il s’efforça de la réhabiliter, et il eût raison ; mais quel homme a été plus éloigné de l’empirisme nominaliste que l’audacieux et puissant génie qui a vu dans les derniers élémens de la pensée les fondemens de la possibilité de toutes choses et les attributs mêmes de l’être absolu ? Que M. Hauréau renonce donc à trouver dans l’adversaire de Locke un appui pour ses préférences. Entre la philosophie des sens et de l’esprit, entre une foi solide autant que sublime et un scepticisme plus ou moins tempéré mais inévitable, il faut choisir. Nous croyons rappeler M. Hauréau aux véritables tendances de son esprit et lui marquer l’estime sincère que nous inspirent sa science et son talent, en le conviant à venir chercher à l’école de Platon, de Descartes, et aussi, quoi, qu’il en dise, à celle de Leibnitz, la seule doctrine qui convienne aux hommes avides de foi et noblement épris de l’iléal.

Cette revue des travaux de l’école spiritualiste serait incomplète, si nous ne faisions pas tout au moins mention de deux publications capitales qui se rattachent étroitement à l’histoire de la philosophie. C’est d’abord l’Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, par M. Eugène Burnouf, et les Religions de l’antiquité de M. Guigniaut. On sait que la philosophie de l’Inde, dans ses interprètes les plus hardis, n’est guère autre chose qu’un commentaire des livres sacrés. Les systèmes hindous resteront donc imparfaitement connus tant que les orientalistes n’auront pas porté le flambeau dans les obscures profondeurs de la religion