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était bien l’homme traduit en 1812 devant le tribunal maritime de Brest, sous l’accusation de crimes qu’on n’avait pu prouver, et renvoyé absous. Guiller lui apportait la mouture du mois, et s’inquiétait de savoir s’il le trouverait à sa cabane, quand le pêcheur lui dit : — Tu vas le savoir, car voici son fils ; Beuzec-le-Noir.

À ce nom ; je me retournai vers le nouveau venu : c’était un jeune paysan, vêtu d’un costume de toile en lambeaux. Sa chevelure rousse lui tombait jusqu’au cou, et sa main droite serrait un bâton de houx noueux, tandis que la gauche retenait un bissac sur son épaule. On cherchait vainement dans ses traits le type calme et : pur des Cambriens : Sa face élargie, son front déprimé, ses yeux enfoncés, ses dents aiguës, lui semblait accuser l’origine tartare ; son visage et ses membres avaient pris sous le soleil une teinte foncée qu’échauffaient au-dessous quelques glacis rougeâtres ; c’était ce qui l’avait fait appeler Beuzec-le-Noir. L’aspect de ce jeune homme avait quelque chose de repoussant et de terrible.

Beuzec avait ralenti le pas en nous apercevant, sans changer pourtant de direction. Dinorah, qui s’était retournée comme moi en l’entendant nommer, affectait maintenant de filet, sans le regarder. L’œil de Beuzec se fixait, au contraire, sur la jeune fille, et il me parut évident qu’il était tout à la fois attiré par elle et repoussé par nous. Guiller l’appela de loin avec la familiarité hardie qui lui semblait habituelle.

— Arrive donc, coureur de sentiers ! cria-t-il en remuant les bras ; ne vois-tu pas qu’on veut : te parler ?

Beuzec marcha encore plus lentement.

— Il faudrait un bout de filin à trois nœuds pour lui faire comprendre le breton, objecta Salaün.

Beuzec parut près de s’arrêter.

— Le meunier veut savoir si Judok est chez lui, dit alors Dinorah sans lever les yeux et en continuant à filer.

Le vagabond ne répondit pas immédiatement ; il promena sur nous un regard scrutateur, puis répliqua :

— Il n’y a que ceux qui viennent de la pointe qui peuvent le savoir.

— Et d’où viens-tu donc ? demanda Salaün.

— Parbleu ! d’où il vient ; toujours, répondit Guiller, de la petite guerre. Ne voyez-.vous pas qu’il a le bissac de picorée sur l’épaule ? Qu’as-tu maraudé aujourd’hui, voyons, pupille du diable, fruit ou racine, chair ou poisson ?

Il fit un geste comme s’il eût voulu porter la main sur la besace ; mais un éclair passa dans l’œil du vagabond, et son bâton de houx se releva lentement.

— Beuzec Vient de la lande, dit la jeune fille en s’entremettant ; je l’ai vu il y a une heure du côté des terriers.