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instans, elles s’arrêtaient comme pour s’expliquer, puis l’une d’elles s’écartait vivement poursuivie par la seconde., qui l’arrêtait de nouveau et la forçait à reprendre l’entretien. À mesure que notre barque approchait, le débat s’animait de plus en plus ; tout à coup un cri perça la nuit et nous arriva distinctement. Salaün se redressa. — Dieu me sauve ! c’est la voix de Dinorah, s’écria-t-il saisi.

Je me levai pour mieux voir, mais on n’apercevait plus rien : les deux ombres avaient disparu de l’espace lumineux pour se perdre dans l’obscurité du promontoire. On entendait encore un murmure de voix toujours plus élevé, puis un nouveau cri nous arriva ; le gabarier y répondit par un de ces hélemens prolongés qui s’échangent au loin sur la mer, et saisit une rame pour accélérer la marche du canot. Au même instant, les deux ombres reparurent, l’une courant vers les vagues, l’autre la poursuivant. Tous n’étions plus qu’à quelques pas du rivage ; je reconnus Beuzec et Dinorah. Celle-ci, qui nous avait aperçus, s’élança droit à notre rencontre. Au moment où la barque toucha la grève, elle entrait dans les flots et se précipita à la poupe, qu’elle saisit des deux bras avec un cri de joie. Beuzec, qui, à notre vue, avait ralenti sa poursuite, se jeta brusquement à droite et disparut. On ne pouvait ronger à le poursuivre parmi les rochers et au milieu de la nuit. La jeune fille occupait d’ailleurs toute notre attention. Le gabarier l’avait soulevée pour l’asseoir près de nous et l’accablait de questions ; mais, encore haletante de la course et de l’émotion, elle ne put d’abord répondre que par des mots entrecoupés : cependant le ton me rassura. Revenue de son trouble, elle s’était mise à rire selon l’habitude des jeunes filles qui veulent cacher leur confusion.

— Mais que s’est-il donc passé ? Pourquoi criais-tu, et que voulait le reptile ? s’écria Salaün encore inquiet.

— Ce n’est rien, dit-elle, sans répondre directement ; quand on est seule, on prend peur ; je ne savais pas ce qui avait pu vous retenir sur la mer, et j’étais à la grève pour vous voir venir.

— Mais Beuzec ?

— Eh bien ! il est arrivé quand je vous attendais là ; il m’a dit qu’il allait quitter le pays, et… il m’a proposé… de partir avec lui !

— Démon ! murmura le gabarier.

— Pour sûr, il est arrivé quelque chose d’extraordinaire, reprit Dinorah, car il parlait comme un homme ivre, et cependant il n’y avait de vin de feu dans son haleine. Il m’a dit que, si je le suivais, il me ferait plus riche que la femme d’un gentilhomme, et, comme je n’avais pas l’air de croire, il m’a montré plein ses mains de pièces d’or.

J’échangeai un regard avec Salaün.

— Et alors ? repris-je.

— Alors, dit la jeune fille émue, j’ai eu peur… Je lui ai demandé où