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dais et des enfans en costume de chœur qui portaient l’eau consacrée, ou agitaient les sonnettes, puis venaient les populations accourues des campagnes voisines. Les hommes marchaient les premiers, deux à deux et têtes nues ; derrière, à une certaine distance, s’avançaient les femmes ; le chapelet à la main. Tous avaient revêtu leur costume des jours de fête, dont les formes variées donnaient à la cérémonie je ne sais quoi de pittoresque et d’animé qui semblait appartenir à un autre âge. Après chaque stance de l’hymne sainte, les voix se taisaient, et il y avait une pause pendant laquelle on n’entendait que le bourdonnement des insectes dans l’air et le cri du grillon sous les fougères. La procession se déroulait avec une lenteur majestueuse sur la crête même du coteau. Elle arriva droit à nous.

Je m’étais découvert, et le meunier, descendu de sa monture, s’était agenouillé. Le premier groupe passa avec les aubes blanches, les bannières à franges de soie et les croix d’argent étincelantes. Les hommes, commençaient à défiler les mains jointes sur leurs larges chapeaux et le visage à demi voilé par leurs cheveux, quand il se fit tout à coup un mouvement. Les regards s’étaient tournés vers la route que Guiller et moi venions de quitter. Une petite charrette entourée de douaniers et de pêcheurs venait de déboucher sur le plateau où nous nous trouvions. Le meunier se leva à demi.

— C’est lui, c’est Beuzec ! me dit-il vivement.

Ce nom, répété de proche en proche, courut dans la foule et y causa une sorte de frémissement ; les prêtres eux-mêmes s’étaient arrêtés ; la charrette arrivait près d’eux. Je reconnus alors le reptile, dont les pieds étaient liés avec des filins goudronnés et les bras solidement attachés aux barreaux. En entendant les chants, il s’était redressé, et son visage hagard apparut au-dessus des bords du tombereau. À la vue de la procession ; il jeta un premier cri d’ironie insultante qui alla se répétant à mesure que les prêtres et les symboles consacrés passaient devant lui ; puis, quand vint le tour des assistans, il se mit à les appeler l’un après l’autre, en accompagnant chaque nom d’un éclat de rire ou d’une injure ; mais, arrivé aux femmes, nous le vîmes s’interrompre subitement son rire s’éteignit, il fit pour s’élancer un effort qui ébranla les barreaux, puis, poussant une sorte de rugissement, il se laissa tomber au fond du chariot.

Dans ce moment, mon œil rencontra le pâle visage de Dinorah. Les yeux baissés et les mains tremblantes sur son chapelet, elle passait avec la procession qui avait repris sa marche. Je la vis se perdre dans le chemin creux tandis que la charrette disparaissait avec son escorte au versant du coteau. La protégée de Marie et le fils du démon venaient de se rencontrer pour la dernière fois et de se faire un éternel adieu.


EMILE SOUVESTRE.