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appuyer sur les prétoriens ; c’est l’ère des césars et du césarisme, puissance renouvelée de la décadence romaine, qu’annonce M. Romieu. Napoléon a été le premier des césars de notre ère ; il a fondé la dynastie, d’autres la continueront sans nul doute pendant long-temps avant que la société puisse retourner à d’autres conditions d’existence. L’Ere des Césars avait eu déjà, avant de naître, un retentissement politique qu’expliquent peut-être le nom et l’entrain bien connu de l’auteur. Je ne sais pourquoi, cependant, je m’obstine à y voir surtout un caractère littéraire, quelque chose comme un roman réaliste de la politique, écrit par un praticien d’esprit et d’imagination qui a beaucoup vu, beaucoup vécu, et qui force volontiers les couleurs. C’est évidemment encore une solution combinée avec des élémens tout littéraires, avec un mirage de l’histoire et un sentiment excessif de la réalité.

L’Ère des Césars est un mélange singulier d’aperçus, de jugemens, de doctrines absolues et de scepticisme pratique. Que dit M. Romieu ? Que la société périt par l’absence de vie morale, parce que le principe de discussion, prépondérant depuis Luther, a tout détruit dans les croyances religieuses et philosophiques comme dans la politique. Que propose-t-il ? Le règne du fait et du succès sous sa forme la plus crue et la plus brutale comme une nécessité pendant long-temps inévitable. Est-il besoin, en vérité, de donner si sévèrement la discipline à la société pour en venir à cette conclusion ? Le livre de M. Romieu exprime naïvement, à son insu peut-être, une des faiblesses de notre temps ; il porte l’empreinte de ce scepticisme universel qui règne dans les ames, qui fait qu’elles invoquent volontiers la force comme moyen unique et commode de salut, pour se dispenser de la réforme intérieure immédiatement et courageusement entreprise, sous le prétexte qu’elle n’est possible ni pour notre génération ni pour celle qui suivra peut-être. Oui, sans doute, cette réforme est difficile ; mais s’accomplira-t-elle, si on ne la tente ? Je proposerais bien, mai aussi, ma solution qui ne serait ni l’ère des césars, ni une restauration légitimiste, ni une régence ; ni un consulat décennal ou à vie : ce serait que chacun entreprît de remettre de l’ordre en lui-même avant de songer à réformer l’état et la société, que chacun, au prix d’un courageux effort individuel, se remît à croire simplement et honnêtement aux choses dignes de notre foi, au bien pratique, à la loi imprescriptible du devoir, à la puissance bienfaisante de la vérité religieuse et morale. Ceci est à notre disposition immédiate, et point le reste. Le malheur est que chacun attend la réforme de ses contemporains avant de savoir s’il doit se réformer lui-même. Nous nous faisons une vie facile et qui nous plaise, et nous réservons pour cet être abstrait qu’on nomme la société notre prosélytisme et l’expérience de nos combinaisons chimériques.

Au fond, les analogies historiques sur lesquelles repose l’idée de l’Ère des Césars ne sont point d’ailleurs aussi concluantes que semble le croire l’auteur, ou elles aboutiraient à un étrange résultat qu’il ne soupçonne pas. M. Romieu, ne songe point que les différences entre les époques qu’il compare sont plus grandes encore que les analogies qu’il croit remarquer. Qu’était ce monde des césars romains dont l’auteur évoque le fantôme ? C’était une société, une civilisation se débattant dans les convulsions de la décadence et périssant par son principe meure en présence d’une société, d’une civilisation nouvelle qui grandissait