Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/927

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saisissant et de périlleux, a engendré une multitude d’essais, de brochure, de travaux de tout genre dans l’ordre politique. Peu méritaient le succès, peu l’ont obtenu ; un certain intérêt indéfinissable du moins s’attache parfois à ces œuvres éphémères, l’intérêt que prêtent les circonstances, et qui naît de ce besoin involontaire de chacun de savoir ce qui se dégage de cette fermentation générale des esprits. Que pense encore celui-ci ? se dit-on. Va-t-il nous offrir la panacée souveraine, un secret pour la pacification universelle, une solution décisive ? On n’a guère la chance d’être renseigné, mais on feuillette le livre, et l’auteur va se faire nommer représentant, s’il peut. Nous vivons à l’époque des brochures politiques et des candidats à la représentation nationale. Les circonstances ne sont point également favorables à tout ce qui ressort de l’imagination. La poésie due à l’art individuel pâlit auprès de la poésie des événemens. Demandez à une ode, à une élégie, à un poème, d’égaler la puissance des catastrophes qui ont rempli le monde depuis deux ans, l’intérêt émouvant et passionné des épisodes qui se sont déroulés sous nos yeux ! Ce qu’on peut ajouter, c’est que la poésie, par sa faiblesse, par son impuissance, s’est trouvée bien juste à la hauteur de la place inférieure que les circonstances lui faisaient dans les préoccupations publiques. Un des traits distinctifs de cette révolution sous laquelle plie le génie de notre pays, c’est la stérilité dans le domaine de l’imagination, et cela n’a rien d’étonnant : pour peu qu’on interroge son principe et ses origines, n’y voit-on pas la corruption littéraire mêlée à la corruption politique et l’aggravant même ? Ce n’est point que les poètes manquent, ils abondent au contraire, et publient scrupuleusement leurs vers ; mais c’est une inspiration défaillante en naissant, sans élan et sans fécondité. Voici quelques volumes de poésie, les Vers d’un Flâneur de M. Ernest Perrot de Chezelles, Une Gerbe de M. N. Martin, les Poésies de M. Charles Fournel, l’Oasis de M. Ferdinand Dugué. À quoi répondent ces vers ? Quelle corde font-ils vibrer ? quel genre d’intérêt ou d’émotion éveillent-ils ? M. Perrot de Chezelles traduit un poème de ce spirituel Henri Heine, auquel il joint quelques morceaux sur la pervenche ou sur Isly, sur l’entrée dans la vie ou sur mil-huit-cent-quarante-huit. Les plus intéressans fragmens de M. Fournel sont quelques imitations ou essais de traduction de ballades, tels que la Ramance de Roncevaux, Robin Hood, la Fille de l’hôtesse d’Uhland. M. N. Martin rime avec assez de grace des chants du laboureur, du moissonneur, des fogerons, qui ne sont encore que des échos de l’Allemagne. Quant à M. Ferdinand Dugué, il faisait sans doute les vers tendres où familiers de son Oasis avec la même placidité que ce mauvais drame de la Misère dont on a parlé. C’est toujours l’art pour l’art. Bien que ces livres diffèrent de ton souvent, ils ne laissent pas d’avoir une teinte commune. C’est l’inspiration habituelle des divers maîtres contemporains graduellement atténuée et nous arrivant à travers deux ou trois imitations. La poésie moderne a trouvé déjà son ère de l’empire, et ce dernier et faible écho d’une inspiration qui jaillit autrefois avec l’éclat de la jeunesse vient se mêler sans être entendu aux bruits d’une époque encombrée de désastres auxquels l’art contemporain n’est point par malheur étranger. Je parlais de la mort du roman ; , je pourrais parler aussi de la mort de la poésie. Ce qu’on peut voir en effet du roman parmi nous, ce n’est rien de bien