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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/932

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Le roi y envoya ses fils ; il les mit ainsi dans les seules conditions où l’on gardât la chance d’acquérir les qualités viriles qui préservent et sauvent la patrie ; mais, pendant que nos soldats gagnaient sous les armes ces vertus qui devaient en effet nous sauver, nous achevions de perdre celles qui nous auraient dispensés d’avoir besoin qu’on nous sauvât. Ce n’est pas le coup de pistolet d’un émeutier de profession, ce ne sont pas les exploits des barricadeurs qui ont renversé la monarchie : c’est la stupeur apathique de tout un peuple qui avait oublié que la monarchie était sa chose, parce que chacun de ses membres s’était désaffectionné de tout ce qui n’était point son intérêt le plus proche. La nation s’est abandonnée elle-même ; le prince qui mesurait tout sur elle, qui rapportait tout à son humeur du moment, qui lui tâtait le pouls, si l’on ose ainsi dire, pour régler le sien, le prince lui a rendu son abandon. La nation a puni le prince de ne lui avoir point inspiré des sentimens qui lui permissent de sa défendu contre sa propre surprise. Le prince, à son tour, serait cruellement vengé de l’illusion trop confiante qu’on lui avait permis de se faire, si son cœur eût jamais pu se réjouir des maux auxquels son absence livrait le pays. Du prince ou de la nation, quel fut le plus frappé ? Leur malheur, leur châtiment réciproques ont été de se ressembler trop.

Nous serons sincères avec tout le monde : ce cercueil en face duquel nous courbons la tête veut qu’on parle vrai. Les vivans ne s’offenseront pas qu’on leur dise la vérité comme aux morts. Il y a quelque chose de plus fâcheux en politique que d’être trop de son temps, c’est de n’en pas être assez. Nous en sommes bien fâchés pour l’honneur du parti légitimiste que nous ne voudrions point voir compromis par des équipées : les promenades sentimentales de Wiesbaden ne le servent pas dans l’opinion autant qu’il paraît l’imaginer. Cet âge est franchement trop prosaïque pour s’émouvoir beaucoup à s’entendre répéter par tous les faussets : O Richard ! ô mon roi ! La république de février a commencé à déchoir du jour où elle inventa ses mascarades patriotiques et ses solennités de carnaval : hélas ! c’était au mois de mars. Que la légitimité redoute ce précédent de mauvaise compagnie ! qu’elle n’aille pas maladroitement faire suite aux fêtes de la fraternité avec une fête de la fidélité ! Les fêtes de ce genre ont un inconvénient majeur, celui qu’il y toujours à la scène des opéras de province, quelquefois même au grand Opéra : les comparses gâtent tout ! Les premiers sujets savent leur rôle ; ils y mettent de l’intelligence, de la passion ; ils sont beaux-, élégans, que sais-je ? ils ont du geste et de la voix. À les regarder, à les écouter, on oublierait presque déjà les coulisses : viennent ces affreux comparses qui vous rappellent impitoyablement le machiniste, l’habilleur et le souffleur ! Nous voilà tout de suite en pleine comédie : qu’on nous en donne pour notre argent ! Les souffleurs de Wiesbaden ne doivent pas laisser d’ailleurs d’être fort empêchés ; il ne doit pas être bien commode de faire parler successivement le langage des lis à des prolétaires parisiens et à des paysans bas-bretons. Nous l’avouerons en passant, ces Bas-Bretons surtout nous intéressent ou plutôt nous apitoient. Nous n’avons jamais pu nous défendre d’une très réelle compassion pour ces débris des vieilles tribus indiennes que des spéculateurs insensibles colportent quelquefois à travers les boues de nos villes, afin d’amuser les badauds de leur triste et fière étrangeté. Ce même sentiment que nous inspirent les pauvres caciques ornés de leurs plumes et de leurs couvertures, le