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Chambord mourant sans enfans ne pourrait pas laisser la couronne à M. le comte de Paris, quoique celui-ci fût son héritier présomptif. Autre cas : si M. le comte de Chambord mourait dans l’exil sans enfans, et si M. le comte de Paris devenait le chef de la famille de Bourbon, ce serait en vain qu’il voudrait faire valoir ce titre ; la légitimité serait éteinte, dit M. de Larochejaquelein. Pourquoi cela ? Parce que cela plaît à M. de Larochejaquelein, parce qu’il a inventé un droit tout nouveau, parce qu’il invoque les droits de la famille contre Mme la duchesse d’Orléans au profit du comte de Chambord, mais qu’il les lui dénie au profit du comte de Paris. M. de Larochejaquelein est le grand-prêtre de la légitimité ; c’est lui qui la fait parler et qui en rend les oracles : grand-prêtre, du reste, qui n’est pas embarrassé du moment où finira le culte qu’il sert, parce qu’il en a un autre tout prêt, et qui n’est pas moins de son goût : la légitimité ou la république !

M. de Larochejaquelein est en effet un légitimiste singulier. « Le gouvernement républicain, dit-il, n’a rien qui puisse blesser personne comme principe. » — Sinon en ceci, je pense ; qui devrait être plus grave pour un légitimiste, que le principe de la république exclut complètement le principe de la légitimité, et que l’un dit oui où l’autre dit non. Croire que l’on peut être, aussi bien républicain que légitimiste et que la république vaut la légitimité, c’est, pour un homme sincère, nier également la republique et la légitimité. Ne lisions-nous pas dans l’Évangile de dimanche dernier : « En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : Nul ne peut servir deux maîtres, car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » M. de Larochejaquelein a changé tout cela : il aime à volonté un maître ou l’autre.

Nous avons vu que, selon M. de Larochejaquelein, M. le comte de Paris ne peut jamais devenir roi légitime, quand même M. le comte de Chambord mourrait sans enfans. Pourrait-il, dans une autre hypothèse, accepter la couronne des mains de la nation légalement représentée, comme l’a fait le duc d’Orléans en 1830 ? Non ! M. de Larochejaquelein a aussi de ce côté une fin de non-recevoir. La nation ne peut plus abdiquer la république ni au profit du comte de Paris, ni au profit de personne, depuis que le suffrage universel a été réglé et limité, et même, pour être exact, nous devons dire que cette fin de non-recevoir tirée de l’état actuel du suffrage universel, ce n’est pas au comte de Paris seulement que M. de Larochejaquelein l’oppose, c’est au prince Louis-Napoléon, c’est au président de la république. Si le président voulait en appeler à la nation, il ne le pourrait plus. « La nation ne pourrait répondre à un appel que si elle était debout dans sa force et dans son universalité. » Tenons-nous donc pour avertis, puisqu’on le veut, et sachons que désormais les appels à la nation sont impossibles. Soit, nous en sommes médiocrement affligés, sachant ce que les hommes de parti entendent par le mot de nation. Ce procédé ; qui est toujours faux sous prétexte d’être le plus vrai possible, ce procédé ne pourra plus être de mise ; l’on ne pourra plus recourir au suffrage universel illimité pour découvrir la volonté du pays. Nous ne demandons pas mieux. Soyons en même temps avertis que, si M. de Larochejaquelein est jamais en posture de faire son fameux appel à la nation, il le fera, lui, à l’aide du suffrage universel illimité. C’est par le suffrage universel