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les avait laissé faire. Je ne veux pas m’occuper d’eux aujourd’hui parce que je méprise les ressentimens et hais les colères ; mais bien des fois, depuis tantôt trois ans, j’avoue que leur peur m’a indigné. Ainsi combien d’hommes aujourd’hui veulent que l’armée les défende, qui devraient eux-mêmes être de l’armée ! A bien peu d’exceptions près, nous sommes tous les compagnons de Gautier-sans-Avoir. L’armée est à la société d’aujourd’hui ce que fut la Vendée à la royauté du dernier siècle : elle combat pour des biens qu’elle n’a pas. Tant mieux ; son rôle en est plus beau. Ce qui a donné tant d’éclat aux luttes vendéennes, c’est qu’il n’y a guère coulé que’ du sang de gentillâtre et de paysan.

En vérité, quand je vois tant de braves gens rassemblés sous nos drapeaux, ou par la loi, de leur pays ou par la loi de leur cœur ; quand je les vois ce qu’ils sont, patiens, actifs, courageux, et n’ayant qu’un unique désir, celui de mettre toutes leurs qualités au service d’une autorité énergique et digne, je me demande comment on a laissé s’en aller la grande famille sociale. Les gens en uniforme qui obéissent au tambour, c’est bien du peuple, et un peuple qui vaut, j’espère tous les ouvriers de vos villes : Pourquoi ceux qui devraient être ses guides sont-ils en si petit nombre dans ses rangs ? Qu’est devenu le temps où on allait perdre aux armées cet air bourgeois qu’on ne perdait pas à la cour ? Mais j’en sais qui se sont glorifiés de l’air bourgeois jusqu’au jour où on est venu leur dire qu’il fallait prendre l’air ouvrier. Ils se sont indignés alors ; il était trop tard. Il y a d’irréparables insolences dont la société a eu à souffrir.

C’est à peu près ainsi que parla Plenho, la dernière soirée qu’il passa au bordj avec le docteur et ce personnage qui eut la discrétion de ne rien dire. J’ai pensé que les discours du capitaine auraient quelque intérêt. Nous trouverons toujours grand plaisir à ce qu’un démon soulève pour nous le toit d’une maison ; peut-être donc éprouvera-t-on quelque charme à pénétrer dans une ame.

C’est aux œuvres surtout que s’applique pour moi la célèbre maxime de Térence. Toutes celles-là me semblent avoir le droit d’existence qui ont en elles quelque chose d’humain. Je ne mets pas toutefois un cœur de plus sous les regards du public ; je n’ai montré du capitaine Plenho que ce qu’il est permis à tout le monde d’en voir. Cet honnête soldat garde son cœur tout entier dans sa poitrine ; les balles, si jamais elles y pénètrent, y trouveront intactes les cendres sacrées que les joies et les douleurs humaines ont amoncelées déjà dans le triste foyer de cette noble vie.


PAUL DE MOLENES.