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l’intérieur, n’offre qu’un sol froid et argileux peu propre à la culture. En s’avançant vers l’ouest, on se trouve transporté dans une région nouvelle, où les forêts abondent. Les émigrans, attirés par le voisinage des lacs, se sont fixés de préférence sur leurs rives, comme sur le bord d’une grande route. Depuis la ville de Kingston, destinée à devenir, à tous égards, l’une des plus considérables du Canada, jusqu’aux limites occidentales de ce grand pays, c’est-à-dire depuis la pointe extrême du lac Ontario jusqu’à la naissance du lac Supérieur, les cartes ne portent que deux noms marqués en gros caractères, Toronto et London. Entre ces deux stations, il y a un intervalle de plusieurs centaines de milles. Toronto s’appelait, il y a quelques années, York. Quand nous la visitâmes nous-même, cette cité naissante comptait tout au plus quatre mille habitans, quoiqu’elle fût alors la capitale du Haut-Canada. Les barraks (casernes) bâties dans une clairière, hors du quartier civil, lui donnaient l’apparence d’un camp. Quelques goëlettes à l’ancre derrière la jetée, et fort éloignées les unes des autres, semblaient attendre depuis long-temps un chargement qu’elles ne trouvaient pas. C’était un spectacle mélancolique, l’esquisse d’une ville et d’un port, un défrichement que signalaient encore les troncs des sapins noircis par la fumée. Çà et là, de lourds chariots, grossièrement construits, passaient sur la place et allaient se perdre en cahotant dans le silence des bois. Une calèche élégante, conduite par une jeune lady qui s’amusait à baigner les pieds de ses chevaux dans les eaux du lac, était, il m’en souvient, la seule voiture de forme européenne qui frappât mes regards ; mais depuis lors la forêt a reculé, des maisons de briques et de pierre ont remplacé les cabanes de bois. Aujourd’hui, vous rencontrerez par vingtaines les phaetons, les gigs, les bogueys, qui emportent les promeneurs dans la campagne. Seize mille ames habitent maintenant Toronto ; on y fait du commerce, on s’y amuse beaucoup, on y publie des journaux comme ailleurs. Il semble même que Toronto aspire à prendre, vis-à-vis de Kingston, place de guerre du Haut-Canada, le rôle de ville bourgeoise et lettrée. On y a institué une université où la jeunesse anglo-canadienne reçoit une éducation complète. Cet établissement se nomme new-college (nouveau collége), dénomination vulgaire qui tend à se changer en celle plus significative de king’s college, collége du roi, le gouvernement britannique espérant y former une pépinière de savans et loyaux sujets, imbus des principes monarchiques et capables d’occuper les principaux emplois dans la colonie. Les professeurs, venus d’Europe et choisis avec soin, auront donc une double tâche à remplir : répandre les lumières de la science autour d’eux et combattre la propagande des idées démagogiques. C’est que, malgré son éloignement des grands centres de population et bien que séparé du territoire américain par toute la largeur de l’Ontario. Toronto n’est pas à l’abri