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dans les annales de la révolution française, c’est la magnifique réponse de Vergniaud à ceux qui l’accusaient de soulever par sa correspondance les provinces contre la domination de Paris : ’Je n’ai qu’un mot à dire pour détruire ces calomnies, répondit avec un dédain suprême le grand orateur : c’est que, depuis que je siége à la convention nationale, je n’ai pas écrit une seule lettre. » Je n’ai pas l’éloquence du chef de la gironde pour me permettre de pousser aussi loin que lui cette glorieuse indifférence pour les colifichets littéraires, mais je puis me vanter du moins de n’avoir jamais écrit que des lettres tout empreintes de l’impression d’un sentiment éprouvé. Tenez, continua-t-il en ouvrant un tiroir de son secrétaire, voici l’histoire toute palpitante de ma vie. — C’étaient de nombreux paquets de lettres de toutes les grandeurs, étiquetées avec le soin minutieux d’un archiviste. — Voici la dernière lettre que j’ai écrite : elle se rattache à un épisode douloureux dont vous connaissez quelques détails, et, comme il y est beaucoup question de musique, je vous autorise à la lire.

J’emportai le brouillon de cette longue épître en langue italienne, qui contenait le récit qu’on a lu. — Et quelle est la fin de cette histoire ? demandai-je au chevalier quelques jours après. — Ah ! me répondit-il en soupirant, c’est la fin de toute chose en ce monde ; le rêve divin s’est dissipé, et a fait place à la triste réalité. Si cette histoire peut vous intéresser, je ne demande pas mieux que de vous la dire ; mais alors il faut que vous me permettiez de remonter le cours de mes souvenirs, car tout se tient et tout s’enchaîne dans mon obscure existence. Aussi bien, vous me rendrez un vrai service d’ami en écoutant avec indulgence le récit de mes divagations. Il n’y a rien de plus pénible dans la vie que d’être le seul confident de ses douleurs. Que vous êtes heureux, vous autres artistes, de pouvoir chanter vos peines, comme l’oiseau sur la branche flexible, et de dissiper en magnifiques accords les orages de votre cœur ! — Chevalier, lui répondis-je, je vous remercie du témoignage de confiance que vous voulez bien me donner ; mais, prenez-y garde, vous allez parler devant un indiscret qui a de fréquentes communications avec le public. — A votre aise, me dit-il en me tendant la main ; je me fie à votre goût et à la délicatesse de vos sentimens.

C’est dans la conversation du chevalier, dans sa nombreuse correspondance, qu’il finit par me communiquer aussi, et dans des renseignemens qui me sont venus d’autre source, que j’ai puisé l’histoire de cet homme intéressant. J’ai redressé les dates et complété tous les passages relatifs à l’art musical, qui joue un très grand rôle dans la vie du chevalier Sarti, que je raconterai un autre jour.


P. SCUDO.