Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1055

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traversa ses cinq premiers, mois de pouvoir. Vers la fin de juillet 1847, soit qu’il voulût échapper par l’éloignement à l’invisible regard du fétiche, soit que, distrait de cette obsession par quelques rumeurs alarmantes qui venaient de la partie septentrionale de la république, il saisît avidement l’espoir de se trouver enfin face à face avec des ennemis de chair et d’os, Soulouque résolut de faire un voyage au Cap. Il devait partir le 27, et voilà que le 26, à l’issue de la séance du sénat, il reçoit la visite de ses ministres, qui le glacent de terreur en lui remettant leur démission collective.

Était-ce là un signal de conspiration, ou plutôt MM. Paul, C. Ardouin, Dupuy et Larochel croyaient-ils le moment menu de séparer leur sort de celui d’un malheureux qui avait maille à partir avec les puissances surnaturelles ? Tel était sans doute le double soupçon qui venait d’assaillir son esprit, et Soulouque demanda d’un air troublé s’il était question d’une nouvelle révolution, ajoutant qu’il était prêt, si on voulait, à résigner ses pouvoirs. Ces messieurs s’efforcèrent de le rassurer en lui expliquant que leur retraite était uniquement motivée par d’énormes réductions que le sénat venait de faire au budget, et, allant eux-mêmes au-devant de ses défiances, ils lui offrirent de l’accompagner, quoique démissionnaires, proposition que son excellence prit au mot avec un empressement marqué.

Soulouque partit donc, dans la nuit du 27 juillet, tout joyeux de mener en laisse ses quatre ôtages ; mais, comme il ne pouvait s’assurer par le même procédé des vingt et quelques mille complices de la poupée qu’il allait laisser derrière lui, il chargea confidentiellement le général de brigade noir Similien, commandant la garde du palais, de tenir ceux-ci en respect jusqu’à son retour. Similien exécuta si consciencieusement ses instructions, que, moins de deux semaines après le départ du président, les habitans de couleur de Port-au-Prince affluaient dans les consulats pour implorer la protection des pavillons. Le même jour, à la même heure, à Jacmel, aux Cayes, à Jérémie, à Léogane, c’est-à-dire d’un bout à l’autre de la presqu’île du sud, les magasins étaient fermés, et une panique aussi vive se manifestait dans la population de couleur. Pour comprendre ce qui venait de se passer, il faut dire ce qu’était Similien.

J’ai parlé de la conspiration qui se forma, au sujet de l’ordonnance de 1825, contre Boyer. Le futur président n’y avait adhéré que par entraînement et sans trop savoir ce qu’il faisait, ce dont on lui avait tenu compte. Mlle Joute avait répondu en personne de la fidélité du capitaine Soulouque, et c’est à cette occasion même qu’elle se l’était attaché en lui donnant la gérance d’une sucrerie qu’elle possédait. Le noir Similien, qui avait dans la garde un grade supérieur à celui de Soulouque, était aussi de cette conspiration, et sa complicité était assez