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renouvelé d’alcool, s’était maintenue intacte jusqu’à l’avènement de Soulouque.

À cette époque, Similien commandait en second la garde, dont Soulouque était, je l’ai dit, le commandant supérieur. Jugeant, par son propre exemple et par l’exemple de Riché et de Boyer, que de ce dernier grade à la présidence il n’y avait qu’un pas, Soulouque avait trouvé prudent de tirer après lui l’échelle. Il n’avait pas rétabli ce grade, et Similien, tout en restant commandant en second se trouvait ainsi placé sous les ordres immédiats du nouveau président. De là entre eux des rapports de tous les jours et de toutes les heures, auxquels de vieux souvenirs de camaraderie donnaient un nouveau caractère d’intimité. Similien n’avait pas négligé, comme on pense, cette occasion de se venger de « l’ingratitude » des mulâtres, et les superstitieuses préventions de Soulouque ne le disposaient que trop à recevoir les impressions de son confident. À la vérité, celui-ci était d’une incrédulité révoltante à l’endroit des tireuses de cartes et des fétiches, et c’est même là ce qui doit plus tard le perdre ; mais Soulouque ne lui savait que plus de gré de s’associer à ses soupçons : le sceptique Similien était presque un allié dans le camp ennemi. Voilà pourquoi Soulouque lui avait laissé en partant, outre le commandement de la garde, celui du fort qui domine la ville, et de plus, comme on le sut plus tard, certaines instructions secrètes qui l’autorisaient à se conduire à sa guise en cas d’éventualités dont l’appréciation était abandonnée à son seul discernement.

Or, dès le premier jour de sa dictature confidentielle, Similien avait discerné ces deux choses : 1° que la garde était à peu près la seule force régulière de la ville ; 2° que les batteries du fort pouvaient au besoin incendier et écraser la ville ; d’où il ressortait, avec la dernière évidence, que l’homme qui cumulait le commandement de la garde et celui du fort était maître de la ville corps et biens.

Je me hâte de dire que si la première impression de Similien à cette découverte pouvait être peu rassurante pour les mulâtres, la seconde fut une pensée de clémence. Saisi d’admiration devant le spectacle de sa propre magnanimité, il ne résista malheureusement pas à l’envie de faire partager cette admiration aux autres, et, pour qu’on pût mieux comprendre tout le mérite qu’il avait à pardonner, il crut devoir préalablement bien établir tout le droit qu’il avait de menacer. S’adressant donc tour à tour aux soldats de la garde qui était consignée au palais national et aux bandes de chenapans qui en assiégeaient les grilles et guettaient peut-être quelque sinistre signal dans le flux d’incohérentes paroles qui échappaient à l’ivresse de l’orateur, Similien se vanta tout haut des pouvoirs discrétionnaires qu’il avait reçus. Le caractère bien connu du personnage ne permettait guère de se méprendre