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excellente, je ne prendrais pas la peine de signaler l’insuffisance, la vulgarité de l’expression ; je ne perdrais pas mon temps à demander pour une ombre un vêtement solide ; mais je me trouve en face d’une pensée vraie, d’un sentiment que je partage : je m’étonne et je m’afflige de voir cette pensée livrée à tous les hasards de l’improvisation, vêtue à l’aventure. En traduisant nettement l’impression que j’ai reçue, je ne crois pas perdre mes paroles. Qui sait si l’exemple de Giusti, trop vanté lorsque ses œuvres étaient lues à la dérobée, jugé sévèrement depuis qu’il est dans toutes les mains, ne servira pas d’avertissement à plus d’un poète fourvoyé ?

Une parole de M. de Lamartine a fourni au poète toscan le sujet d’une pièce énergique et vraie. M. de Lamartine avait appelé l’Italie la terre des morts. Giusti répond à cette parole avec une ironie qui va souvent jusqu’à l’amertume, mais qui n’a pas besoin d’être justifiée. Faut-il s’étonner qu’un Italien qui prend au sérieux l’idée de la patrie, qui aime et vénère son pays, refuse d’accepter l’arrêt prononcé par le poète français ? Le ton de cette réponse n’a d’ailleurs rien de blessant. C’est une raillerie qui s’adresse tour à tour à la France, à l’Angleterre, à l’Allemagne. Si l’Italie est la terre des morts, si la vie s’est retirée de ce beau pays, de ce pays autrefois si puissant, pourquoi donc toute l’Europe va-t-elle respirer l’air des tombeaux ? Que signifie cette passion pour les ombres ? Si l’Italie est morte, que, veulent dire ces armées qui veillent sur elle nuit et jour ? Est-ce pour empêcher les morts de se réveiller que l’Allemagne envoie ses soldats camper en Italie ? Si l’Italie est morte, pourquoi bâillonner sa pensée ? Est-ce que les morts peuvent être pervertis ? Est-ce que les ossemens ensevelis sous la terre épouvantent l’héritier de César ? — J’en ai dit assez pour montrer nettement le sens de cette composition. Quoiqu’elle porte le caractère de l’improvisation, quoique l’expression ne soit pas toujours précise, il y a tant d’abondance et de spontanéité, que l’esprit du lecteur se laisse volontiers aller à l’indulgence. D’ailleurs cette réponse est écrite d’un bout à l’autre avec une simplicité familière qui éloigne l’idée de toute prétention. Les compatriotes de Giusti citent cette réponse comme une des meilleures pièces de son recueil. La pensée qui l’a dictée éveille à Florence et dans le reste de l’Italie de nombreux échos. La fierté nationale, le souvenir d’un passé glorieux, ont trouvé dans Giusti un interprète énergique, et tout esprit bien fait comprend sans peine que la reconnaissance ne mesure pas la louange à la valeur précise de l’œuvre.

La Réception d’un chevalier de l’ordre de Saint-Étienne est bien au-dessous de la Réponse à Lamartine. L’esprit et la gaieté qui animent cette pièce n’en déguisent pas la prolixité. L’auteur veut tourner en ridicule et désigner au mépris public un vilain enrichi par l’usure,